Littérature/France 25 avril Paul Verlaine

Il y a des moments miraculeux dans la vie d'un archéologue littéraire. Comme le jour où il retrouve, dans les pages d'une obscure revue régionaliste de 1894, Les enfants du Nord, le texte absolument inédit d'une conférence lecture donnée par Paul Verlaine à Paris, au Café le Procope, dans la soirée du 29 mars 1894, sur Les Poètes du Nord, justement. C'est-à-dire Marceline Desbordes-Valmore (née à Douai), à qui Verlaine vouait une immense admiration, mais aussi Sainte-Beuve (né à Boulogne-sur-Mer), bien moins connu comme poète que comme critique, et deux « patoisants », le Lillois Desrousseaux, auteur de l'immortel « P'tit Quinquin », et son confrère Lamy, de Cambrai. C'est cette histoire que retrace, avec la minutie et le sens du suspense d'un détective, Patrice Locmant, qui s'est chargé de l'édition de ce petit trésor de notre patrimoine, que l'on croyait perdu depuis plus d'un siècle.

L'activité de conférencier de Verlaine sur la poésie de son temps, dans les dernières années de sa vie, est bien connue. Pour le plaisir, sincère sans doute, de faire apprécier au public des artistes et des œuvres qu'il aimait, mais aussi afin de gagner quelques sous, qui lui permettraient de survivre encore un peu. Le « pauvre Lélian » était en effet gravement malade et, entre deux séjours à l'hôpital, il habitait un gourbi du Quartier latin avec sa maîtresse du moment, Eugénie Krantz, de mœurs légères. Tous deux étaient des ivrognes, et le demi-sou qu'a rapporté à Verlaine son ultime conférence a dû partir en infâme piquette.

Il est mort en 1896. A partir de la fin de 1892, il avait donné dix-sept conférences en Hollande, Belgique, Lorraine (allemande depuis 1871) et Grande-Bretagne, dont les six textes avaient été publiés en 1972 dans le volume de ses Œuvres en prose en Pléiade. Restait cette dix-huitième prestation, à l'invitation des Rosati, une société poétique régionaliste proche des Félibriges du Midi, dont le but était de préserver les patois, de résister au centralisme jacobin de Paris, déjà. Même s'il fait d'abord l'éloge de la Patrie, il y a un côté « gilet jaune » avant l'heure dans le texte de Verlaine, mi-Lorrain mi-Ch'ti, qui s'est toujours considéré comme un « provincial déraciné ».

Cette curiosité littéraire mérite vraiment qu'on la découvre. Même si on se demande comment Verlaine a pu admirer aussi bien Marceline Desbordes-Valmore que Rimbaud.

Paul Verlaine
Les poètes du Nord
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 12 euros ; 104 p.
ISBN: 9782072837531

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