A l’âge de 9 ans, Nikolai Grozdninski (c’est son nom complet) remporte son premier concours international de piano, à Salerne, en Italie. A 17, un an avant la chute du Mur, il est « viré » du conservatoire de Sofia, en conflit « à la fois politique et musical » avec ses professeurs. « Des fous communistes et sinistres qui ne juraient que par le classique, et pour qui le jazz était encore une musique dégénérée. » Commence alors pour ce garçon une longue errance, avec des moments de déprime, de solitude, quelques miracles, des expériences difficiles et d’autres lumineuses, comme ces cinq ans passés en Inde, dans des monastères bouddhistes tibétains.

Le tout constitue la matière de son œuvre littéraire, nettement autobiographique, y compris ses romans. Wunderkind (« Enfant prodige », en allemand), son cinquième livre et premier roman traduit en France, n’échappe pas à la règle : « Ce livre est à 90 % autobiographique, explique Grozni. Je l’avais d’ailleurs commencé comme un essai. Et puis j’ai eu besoin de prendre de la distance, d’où l’invention de Konstantin. » Lequel lui ressemble comme un frère : c’est un virtuose du piano - le roman tout entier est nourri par la musique - à qui il arrivera bien des histoires, certaines presque fantastiques, comme cette plongée hallucinée dans les catacombes de Sofia.

A propos de Wunderkind, Patti Smith, contactée par l’éditeur américain d’origine, Simon & Schuster, a bien voulu écrire un blurb enthousiaste : « La prose miroitante et viscérale de Nikolai Grozni déferle telle une symphonie, avec un piano à queue pour machine à écrire infernale. » L’auteur, qui ne connaît pas la star, s’en montre enchanté : « Je pense que c’est le premier blurb de Patti Smith, et qu’elle l’a fait gratis. Pour moi, c’est une figure culte, bien sûr. »

En 1990, donc, Nikolai met fin à sa carrière de pianiste professionnel et quitte sa famille, bourgeoise et mal vue par le régime. Père chirurgien, mère dentiste et pianiste, un oncle, jadis traducteur pour l’ambassade américaine, avait été condamné à trente ans de goulag. « C’est lui qui m’a appris l’anglais, très jeune, et avec l’accent US ! » L’adolescent habite un an dans les abris antiatomiques des catacombes de Sofia, « parmi les clochards et les dissidents ». Remonté à la surface, il se lance dans la composition, du jazz « à la Keith Jarrett ». Il enregistre ses morceaux, envoie la cassette au Berkeley College Music, « le top pour le jazz aux USA », qui, miracle, l’accepte. Il passe trois ans et demi à Boston, « sauvé par le BCM », mais n’aime pas le pays, « avec son ambiance policière, paranoïaque, bigote, nationaliste. Pour moi qui sortais du communisme, c’était un autre totalitarisme ».

 

 

Le moine a la bougeotte.

En guise d’antidote, Nikolai découvre la philosophie bouddhiste, et décide de la pratiquer intensément. « Très jeune, j’avais décidé d’aller en Inde, c’était une idée fixe. » En 1995, il part pour Dharamsala, la capitale du Tibet libre en exil, depuis l’invasion chinoise. « Sérieux et motivé », il apprend le tibétain, devient moine, « tondu et en robe rouge » et vit quatre années à l’Institute of Buddhist Dialectics, un monastère créé par le dalaï-lama, avec qui il passe même une heure en tête-à-tête, une fois, à discuter - en tibétain ! C’est là, en 1998, qu’il fait la connaissance de Tsar (c’est un pseudonyme), un moine né en Serbie, à Sarajevo, en pleine guerre. Une rencontre fondamentale, qu’il racontera dans ses livres. Puis frère Nikolai part pour le Karnataka, au sud de l’Inde, dans un autre monastère tibétain, le plus grand du monde avec ses 6 000 moines. Mais il attrape la malaria : retour d’urgence à Sofia et réinsertion difficile. Il se marie, a une fille, divorce. « Premier désastre. » Il publie aussi trois romans « magiques-réalistes » en bulgare, tirés de ses expériences, dont le premier a été écrit en Inde, et qui rencontrent le succès.

 

Mais la bougeotte le reprend. Nikolai repart pour les Etats-Unis suivre des cours de creative writing à la Brown University de Providence. Il y passe quatre ans, rencontre sa deuxième épouse, écrivain elle aussi, avec qui il aura une fille - et dont il vient de divorcer : « deuxième désastre ». En 2008, il publie Turtle feet, un essai autobiographique remarqué, écrit directement en anglais. « C’est plus facile pour moi que le bulgare », dit-il.

Avec sa femme, ils avaient décidé de venir s’installer en France, non loin de Nîmes. C’est là que vit aujourd’hui Nikolai Grozni, et qu’il a écrit Wunderkind, paru aux Etats-Unis en 2011 : « J’ai enfin le sentiment d’avoir trouvé ma place. C’est un lieu idéal pour travailler. Je viens d’achever mon sixième livre, un mystère dionysiaque, pour qui je cherche un éditeur anglo-saxon. Je vais aussi me remettre à composer dès que j’aurai mon piano, qui arrive des Etats-Unis par bateau ! »

Jean-Claude Perrier

Wunderkind, Nikolai Grozni, traduit de l’anglais par France Camus- Pichon, Plon, 350 p., 21,50 euros, ISBN : 978-2-259-21818-4, mise en vente le 29 août.

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