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Céline Lafontaine, «Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant» (Seuil) : La vie en doses

Céline Lafontaine - Photo © Benoît Boucher/Seuil

Céline Lafontaine, «Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant» (Seuil) : La vie en doses

Dans une vaste enquête sociologique, Céline Lafontaine montre comment les bio-objets transforment notre vision de la vie. Tirage à 2500 exemplaires.

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Par Laurent Lemire
Créé le 03.03.2021 à 17h58

On éprouve comme un vertige à la lecture de ce livre édifiant, précis, documenté. Pas celui des profondeurs, plutôt celui de la déraison de l'humanité, et cela d'autant plus en cette période de pandémie. Que nous raconte Céline Lafontaine ? Que nous bricolons avec le vivant comme nous l'avons fait avant avec des matériaux moins nobles sans en mesurer tous les risques. Remplaçons bio-objets par gamètes, embryons, cellules souches, bactéries de synthèse, OGM. Tout à coup le ciel s'éclaire et l'esprit s'assombrit. Ne sommes-nous pas déjà dans le monde d'après, un peu plus inquiétant que celui d'hier, les masques en plus ? Cette grande enquête de la sociologue canadienne montre comment nous avons transformé la matière biologique en objet technologique, façonné des bio-objets qui occupent désormais un espace économique, matériel, culturel et symbolique. Ce vivant ainsi transformé entraîne « la mise en culture de la vie biologique », modifie les liens de filiation et notre rapport au temps.

Remarquablement informé, l'ouvrage n'évacue pas les espoirs thérapeutiques fournis par la possibilité d'imprimer des cellules, des tissus vivants et des organes. Pour autant, Céline Lafontaine, à la suite de son investigation dans ces laboratoires, révèle les limites de la technique actuelle. « Le véritable enjeu de la bio-impression, et qui constitue aussi son principal obstacle, est lié à la compréhension du processus de morphogenèse, c'est-à-dire à l'enchevêtrement complexe et dynamique à partir duquel les cellules interagissent et forment des tissus, puis des organes. »

Au niveau de l'ADN, de nouveaux outils génétiques ont été mis au point pour modifier les embryons humains. La technique CRISPR-Cas9 a valu à la Française Emmanuelle Charpentier et l'Américaine Jennifer Doudna le prix Nobel de chimie l'année dernière. C'est alors l'image du cyborg, de l'humain augmenté, qui surgit mais aussi celle du bio-citoyen finalement peu informé de ces bio-objets surprenants qui doit trouver sa place dans ce nouvel univers en gestation. « Qu'un simple virus puisse, à l'ère de l'Anthropocène, immobiliser pendant des mois les plus grandes puissances de la planète nous rappelle soudainement que la vie sur Terre est le fruit d'une longue histoire complexe et dynamique où s'enchevêtrent matière vivante et non vivante, humains et non-humains, dans un équilibre toujours plus menacé par nos velléités démiurgiques de croissance industrielle. »

Qu'un coronavirus soit capable de réduire à néant les fantasmes transhumanistes des rêveurs d'éternité en dit long sur notre capacité à envisager ce futur congelé comme les gamètes. La transformation de la matière vivante en produits industriels constitue le cœur de la réflexion de Céline Lafontaine, qui poursuit ici son travail amorcé en 2004 dans L'empire cybernétique (Seuil). De manière originale et efficace, elle nous plonge au cœur des interrogations contemporaines, sur la signification du fait d'être en vie lorsque la vie se réduit à la technologie.

Céline Lafontaine
Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant
Seuil
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 22,50 € ; 336 p.
ISBN: 9782021375497

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