Bien souvent, en matière de presse, «  tout est dit, et l’on vient trop tard  »… depuis plus de cent ans qu’il existe des rotatives, et qui tournent. En d’autres termes, rares sont les sujets vraiment originaux. Mais un bon titre peut faire « éclore » un sujet, jusqu’alors passé relativement inaperçu. C’est ce qui devrait se produire avec le Télérama de la semaine prochaine (du 23 au 29 octobre), mais que les abonnés ont reçu ce mercredi. En page 10, le papier «  Et François Hollande, il est juif ?  » promet de faire mouche. Car que dit ce papier ? Une chose effrayante : si vous tapez, sur la page d’accueil de Google, le nom d’un journaliste français de renom, d’une vedette de la télévision ou d’un homme (ou d’une femme) politique de premier plan, la fenêtre qui s’ouvrira en regard (qui correspond à la fonctionnalité « Google suggest », gérée par des robots) affichera le mot « juif » en bonne position. Autrement dit, les internautes cherchent à savoir, pour ces personnalités, si elles sont ou non de confession juive. En réalité, le lièvre avait déjà été levé en mai 2009 par Colombe Schneck sur l’antenne de France Inter, et repris le même jour par Renaud Revel dans son blog de l’Express , mais avec un titre beaucoup moins accrocheur : «  Juifs d’abord, journalistes et animateurs ensuite ?  » Dix-huit mois plus tard, c’est hélas toujours aussi vrai. Tapez « Arlette Chabot », « Nicolas Sarkozy », « Marc-Olivier Fogiel », « Bill Clinton » ou « David Pujadas »…, et Google vous suggérera aussitôt le mot « juif ». Il y a dix-huit mois, la réponse des responsables de Google (qui n’y est évidemment pour rien) avait été la même qu’à Télérama cet automne : cette curiosité obsédante des internautes hexagonaux est une «  tendance lourde  » (sic), et pire encore, il semblerait qu’elle soit spécifiquement française. J’ajoute qu’il y a dix-huit mois, le billet de Renaud Revel avait suscité une flopée de commentaires dont l’antisémitisme affiché laisse rêveur. L’un des internautes avait même rebaptisé France Inter « France 100% casher » et dénonçait tous les animateurs de la radio (dont Jérôme Garcin) comme juifs… J’ai voulu voir si ce qui se constatait pour le monde de la télé, de la politique ou des médias, valait aussi pour le monde du livre. Si vous tapez les noms des animateurs de télévision ou de radio qui parlent souvent de livres dans leurs émissions (Michel Denisot, Laurent Ruquier, Guillaume Durand, Frédéric Taddei, Yves Calvi, Thierry Ardisson, Patrick Poivre d’Arvor…), le mot « juif » apparaît à chaque fois. Ce qui n’a rien de « surprenant », si l’on ose dire, car conforme a ce qui a été relevé précédemment : dès qu’un animateur acquiert une certaine notoriété, hop, il y passe. S’agissant ensuite des chroniqueurs ou des critiques les plus connus : Pierre Assouline n’y échappe pas, pas plus que Josyane Savigneau (pour elle, il n’y a d’ailleurs que deux suggestions : « Le Monde » ou « juive »…). En revanche, Eric Naulleau y échappe (pour l’instant ?), ainsi qu’Ali Baddou (dans son cas, les deux suggestions principales sont « marié » et « femme » : le syndrome du beau gosse ?). Quant à François Busnel, malgré son encombrante exposition médiatique, il n’y est pas encore passé (l’une des occurrences de tête le concernant est « vie privée » : là encore, comme pour Ali Baddou, il doit s’agir d’admiratrices qui cherchent à savoir s’il est «  available  »…). Concernant les grands patrons de l’édition, c’est niet : rien pour Antoine Gallimard (principale occurrence, désormais : « SNE »), ni pour Francis Esménard, ni pour Arnaud Lagardère (principales occurrences : « vie privée », « Richard Gasquet » et « Nicolas Sarkozy »…), ni pour Arnaud Nourry, ni pour Olivier Nora, ni pour Teresa Cremisi (occurrence : « Houellebecq »)… S’agissant, enfin, des auteurs, j’ai fait chou blanc. J’ai tapé les noms de plus d’une trentaine d’auteurs habitués des listes de meilleures ventes de Livres Hebdo , à savoir, entre autres : Amélie Nothomb, Jean d’Ormesson, Alain Badiou, Fred Vargas, Anna Gavalda, Eric-Emmanuel Schmitt, Katherine Pancol, Philippe Claudel, Michel Houellebecq, Marc Levy, Dan Brown, Stephenie Meyer, Stieg Larsson, Guillaume Musso, Virginie Despentes, Muriel Barbery, Daniel Pennac, Patrick Rambaud, Max Gallo, Sophie Coignard, etc. Pas une seule fois n’est apparu le mot « juif ». Que penser de ce résultat ? Faut-il s’en réjouir, et en conclure que les amateurs de livres n’ont pas la curiosité malsaine ? Faut-il au contraire s’en désespérer, car ce serait là une preuve supplémentaire de la perte d’influence du livre dans notre société, qui serait devenu si peu « dangereux » qu’il n’intéresserait même plus les antisémites ? Je vous laisse juge de ces interprétations, et de bien d’autres que vous pourriez trouver.   Cela dit, cinq noms ont quand même fait exception à la règle (et il y en a probablement d’autres). Les internautes ont cherché à savoir si Lorant Deutsch (vedette de librairie, mais aussi du petit et du grand écran) était juif ; si Richard Bohringer (idem) était juif ; si Philippe Gelluck (dont le dernier album faisait la semaine dernière la couverture de Livres Hebdo ) était juif ; si Bernard Werber et Charles Dantzig (pour le coup, purs produits de librairie) étaient juifs… Pour terminer sur une note plus drolatique, sachez que pour Christine Angot, l’une des principales occurrences est « gynéco » (pour le Doc, évidemment) ; pour notre collaborateur médiatisé Emmanuel Pierrat c’est « sommeil » et pour J.K. Rowling, c’est… « fortune » ! Au fait, si vous vous posez la question, l'auteur de cette chronique est goy. Mais on peut aussi remplacer le "o" par autre chose.

Les dernières
actualités