Christian Bruel sans totem ni tabou

"Je considère la publication de presque tous nos livres comme des actes profondément politiques."Christian Bruel - Photo Olivier Dion

Christian Bruel sans totem ni tabou

Un livre publié aux éditions du Cercle de la librairie restitue le parcours de l’auteur-éditeur, fondateur du Sourire qui mord et d’Etre éditions, qui a marqué l’histoire du livre de jeunesse par son engagement.

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Par Claude Combet,
avec Créé le 21.11.2014 à 01h03 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Un contexte - celui de l’après-68 - et une volonté - s’adresser aux enfants sans mièvrerie, avec des images à la fois poétiques et dérangeantes - sont à l’origine de l’aventure singulière du Sourire qui mord, retracée dans l’ouvrage collectif Christian Bruel, auteur-éditeur, une politique de l’album. Du Sourire qui mord à Etre éditions (1976-2011), dirigé par Dominique Perrin et Anne-Marie Mercier-Faivre (éditions du Cercle de la librairie). Les deux universitaires, respectivement maître de conférences et professeure à l’université Lyon-1, entendent mettre en lumière un "parcours inédit dans le champ de la littérature pour la jeunesse française". Dans un entretien avec Dominique Perrin qui figure dans l’ouvrage, Christian Bruel explique : "Si on met de côté quelques livres où la dimension ludique, légère et facétieuse l’emporte, je considère la publication de presque tous nos livres comme des actes profondément politiques en ce sens qu’ils sont des propositions de résistance à l’ordre des choses et que loin d’indiquer une ligne, ils font confiance aux lecteurs considérés comme complices et suscitent un abord critique. C’est sans doute en cela que le politique et l’artistique peuvent aller d’un même pas."

Né du collectif Pour un autre merveilleux et de l’agence Im-média, le Sourire qui mord - "un nom dénonçant la mièvrerie ambiante" -, s’est située d’emblée comme une maison avant-gardiste, engagée, publiant des "livres différents". Paru en 1976, le premier album, Julie qui avait une ombre de garçon, de Christian Bruel, Anne Bozellec et Anne Galland, en posait les fondamentaux, soulignés par Caroline Hoinville dans le livre : "l’abolition de la frontière enfant-adulte, l’exaltation de la réflexion et de l’imagination, le refus des stéréotypes et autres tabous". Après 58 titres illustrés par Nicole Claveloux, Nikolaus Heidelbach ou Katy Couprie, l’aventure s’arrête en 1996 au terme d’une période (1985-1995) passée sous l’aile de Gallimard Jeunesse, alors dirigé par Pierre Marchand. Etre éditions succède, de 1997 à 2011, au Sourire qui mort, pour 73 titres publiés sous le slogan "Des albums à partager qui craquent entre dents de lait et dents de sagesse"… Ces deux aventures ont durablement marqué l’édition pour la jeunesse. Plusieurs titres édités par Christian Bruel ont été salués par des prix littéraires (prix Sorcières 1999 et prix Pitchou 2000 pour Alboum ; Bologna Ragazzi 2004 pour La grande question ; prix de l’album de la Foire de Francfort pour Hänsel et Gretel). Certains titres ont été repris aux éditions Thierry Magnier.

La deuxième partie du livre est consacrée à Christian Bruel auteur, car "lire un album de Christian Bruel, c’est faire l’expérience de l’étrange, construire un sens ou plutôt des sens, toujours provisoires : il y a toujours de l’"encore !" lorsqu’on ferme le livre. La lecture est sans fin, jamais achevée, souligne Anne-Marie Mercier-Faivre. Ce qui importe, c’est le parcours, le détour, l’interrogation". L’ouvrage explore ses grands thèmes : le jeu à travers le personnage qui empile des objets dans Alboum ; le corps dans Les chatouilles ; les familles avec L’heure des parents, où l’on croise notamment des familles monoparentales ; l’identité et la question du genre avec Jérémie du bord de mer.

Dans le dictionnaire chronologique final, les membres du groupe de recherche et de formation Pralije (Pratiques de la littérature et jeunesse) de l’université Lyon-1 se livrent à une analyse titre par titre de 50 livres publiés, depuis Julie qui avait une ombre de garçon jusqu’à Ro-Bo-Cou-Tro, en passant par Liberté nounours, Un jour de lessive ou l’expérimental "photo-roman", La mémoire des scorpions. "Pour écrire ce livre, nous avons "travaillé", nous avons joué, discuté et parfois disputé. Peut-on le dire : nous nous sommes bien amusés. Nous avons lu et relu, été sans cesse surpris par les méandres du sens, emboîtements, clins d’œil, citations, mises en abyme… et aussi réenchantés par ce qui nous parlait de l’humain et de façons d’être au monde", concluent les auteurs.

Christian Bruel, auteur-éditeur, une politique de l’album. Du Sourire qui mord à Etre éditions (1976-2011), sous la direction de Dominique Perrin et Anne-Marie Mercier-Faivre, éditions du Cercle de la librairie, 39 €.

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