19 MARS - PREMIER ROMAN Grande-Bretagne

Comme dit le slogan d'une marque de biscuits britanniques - et God sait si, dans La dernière conquête du Major Pettigrew, on consomme des tonnes de biscuits accompagnant des hectolitres de thé léger - : "C'est anglais, mais c'est bon. » Excellent même, spirituel et tendre, avec un héros épatant, pratiquant un certain nombre de valeurs traditionnelles dont le respect de l'autre, bien mis à mal dans le monde contemporain : son fils Roger, un grotesque yuppie intéressé installé dans la City, en est l'odieux exemple vivant.

Ernest Pettigrew, lui, 68 ans, ne quitterait pour rien au monde sa retraite paisible de Rose Lodge, à Edgecombe St Mary, East Sussex. Un petit paradis du sud de l'Angleterre profonde, menacé par un promoteur américain mégalo qui veut y bâtir un "lotissement de luxe" destiné à des aristocrates trop désargentés pour conserver leurs domaines et manoirs ancestraux. On dirait un mobile pour une enquête de l'inspecteur Barnaby. Autre mobile possible : la paire de précieux fusils Churchill, de pures merveilles léguées à chacun des fils Pettigrew par leur père, qu'Ernest vient de réapparier après la mort de son frère Bertie. Mais la veuve, sa fille et son propre fils veulent contraindre le Major à vendre son trésor. Iraient-ils jusqu'au meurtre ?

Non, on n'est pas dans un roman policier, même si Helen Simonson, demeurée tellement anglaise bien qu'expatriée à Washington, sait construire des histoires aussi sophistiquées qu'Agatha Christie. Le coeur de l'intrigue ici, outre les fusils, c'est Mme Ali. Une brave épicière d'origine pakistanaise, mais née à Cambridge et qui n'a jamais mis les pieds dans "son" pays. Elle tient la seule boutique du village et le Major, veuf de sa chère Nancy, en est tombé raide amoureux. Au point de s'afficher à son bras au bal "Grand Moghol" donné au Golf Club - qui dégénérera en foire d'empoigne et en fiasco - puis de vouloir l'épouser. Pettigrew, Anglais old wave, ignore absolument ce que sont racisme, communautarisme et autres hérésies. Il est né à Lahore, qui faisait alors partie de l'Empire des Indes et où son père était officier. Se marier avec une musulmane ne lui pose aucun problème, même si, de son côté, elle est affligée d'un neveu torturé, Abdul Wahid, revenu "intégriste" du pays de ses ancêtres. Le jeune homme, en fait, mal dans sa peau, n'assume pas sa liaison extraconjugale avec Amina, ni la naissance de leur fils George - que le Major adore, et réciproquement.

Pour conquérir Mme Ali (Jasmina de son prénom), le brave Ernest va devoir faire fi des préjugés de son village, de son club, de ses soi-disant "amis" et arracher sa belle à sa famille traditionaliste. Une quête digne d'un preux chevalier, d'un Lancelot d'aujourd'hui. Et il y a un peu de ça chez notre héros, l'humour en plus, bien sûr. Au début, par délicatesse et bonnes manières, il n'ose intervenir dans la vie des autres, de même qu'il déteste qu'on essaie de l'embarquer dans des histoires perturbant sa quiétude. Et puis, au fil des pages, il se lâche, se révèle tout sauf égoïste, peut-être sous l'effet de son dernier amour, cette love story métissée entre seniors racontée avec justesse, pudeur et optimisme. Un best-seller programmé qui fait du bien.

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