Tribune

“La grande librairie d’art, créée en 1989 par la Réunion des musées nationaux, dans les nouveaux espaces inaugurés cette même année sous la pyramide du musée du Louvre, et directement accessible à partir des espaces d’accueil du public, ne sera plus la même à compter du mois d’avril 2013. A la recherche d’un développement de son chiffre d’affaires et d’une plus grande rentabilité de ses activités commerciales, la Réunion des musées nationaux, en accord étroit avec la direction du musée du Louvre (qui en perçoit une redevance annuelle), a pris la décision de réimplanter la librairie spécialisée en histoire de l’art au premier étage de ses espaces commerciaux. A la place, c’est toute l’offre de « produits dérivés » (bijoux, cadeaux et moulages) qui se redéveloppera au rez-de-chaussée du magasin - en prise directe avec le flux des visiteurs. Les dirigeants de la RMN ont prévu que cette nouvelle organisation allait permettre de stimuler les ventes des produits dérivés (dont les marges sont beaucoup plus élevées que celles du livre), tout en maintenant l’activité librairie à son niveau actuel. […]

Depuis bientôt un quart de siècle, la librairie du musée du Louvre était devenue une librairie d’art réputée, voire enviée, la plus importante certainement en Europe, grâce à une offre mêlant ouvrages de vulgarisation et ouvrages d’érudition sur toute la période de l’histoire de l’art, allant des origines des civilisations jusqu’au XIXe siècle. […] Si une part non négligeable des achats est effectuée par un public professionnel […] et d’amateurs avertis, il n’en reste pas moins que sa situation, au rez-de-chaussée du magasin, permettait à la librairie d’attirer un public très large, grâce au flux des visiteurs (8 000 000, selon le musée du Louvre) et de réaliser, grâce à cette proximité, et par un phénomène d’achat d’impulsion, la part la plus importante de son chiffre d’affaires.

Considérant que sa situation au premier étage du magasin formait le principal handicap au développement des ventes de ses produits dérivés […], on ne voit pas par quel miracle commercial la librairie échapperait à son tour à cette même « malédiction » […]. Qui plus est, la surface disponible étant inférieure […], le nombre de tables s’en trouvera significativement réduit et par là même le nombre de titres susceptibles d’être mis en avant, ce qui est essentiel dans une librairie en général mais plus encore dans une librairie spécialisée en livres « illustrés ». […] La librairie du Louvre offrait jusqu’à présent une formidable vitrine et un débouché non négligeable pour nombre d’éditeurs d’art spécialisés. C’est un terrible signal pour ce secteur éditorial, déjà fragilisé, dont les coûts de conception et d’impression sont les plus élevés, et les retours sur investissement les plus longs.

La RMN, qui s’est longtemps enorgueillie d’être un « passeur » de culture, et le service du ministère de la Culture, qui exerce la tutelle sur cet opérateur de l’Etat, seraient bien avisés de surseoir à ce gâchis annoncé."

 

Premiers signataires : Gilles Fage (Fage éditions), Karima Gamgit (directrice générale de Volumen-Loglibris), Alain de Gourcuff (Gourcuff-Gradenigo), Michel Guillemot (Nouvelles éditions Scala), Liana Levi, Colette Olive (Verdier), Marc Perelman (éditeur et enseignant), Marc Plocki (CDE), Gilles Haéri (directeur général de Flammarion), Sophy Thompson (directrice du département livres illustrés de Flammarion).

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