« Personne ne connaît toute la vérité sur mon histoire, et jamais je ne leur dirai. » Les lecteurs de ce roman remarquable seront les confidents privilégiés de Melody Shee. Ses premiers mots annoncent une bonne nouvelle : elle est enceinte après plusieurs fausses couches. Il y a toutefois un hiatus : le père n'est pas son mari, mais l'un de ses jeunes élèves. D'où lui vient la nécessité de cracher cette vérité ? Melody et Pat formaient un couple fusionnel, passionnel, mais déchiré. « Comment le souvenir de l'amour a-t-il pu s'éloigner de nous aussi complètement ? »

Au fil des chapitres, égrenant les semaines de grossesse, l'héroïne ravive ses souvenirs inavoués. « Il y a une faute irréparable en moi. Je suis une salope cinglée. » Melody est rongée par la culpabilité. Les fantômes du passé ne cessent de se manifester. Elle les revisite à travers « un diorama macabre dans [sa] tête ». Outre sa mère, si sévère, il y a son amie d'enfance, Breedie Flynn. Qu'est-ce qui lui a pris de l'abandonner ? « Je ne vois aucune raison de justifier mon existence », mais « mourir me paraît aussi déraisonnable que vivre ». D'autant qu'elle s'accroche à son père. Sa rencontre avec Mary Crothery marque un point culminant. Cette fille de 19 ans fait partie du même clan que le géniteur du futur bébé, à savoir celui des gens du voyage, qui essaient de trouver une terre d'ancrage en Irlande.

Mary ne peut pas enfanter, elle porte la violence de ses maux en silence. « Je suis la honte de la famille. » Elle a déshonoré celle-ci en quittant son mari. « Je suis toute seule pour toujours. » Rejetée, cette solitaire a un air de Breedie. Aussi Melody désire-t-elle aider cette femme-enfant, qui a elle aussi payé le prix de sa fragilité. Entre-temps, elle attend un enfant. Il transforme son corps et ses sentiments. « Le passage brutal d'un état d'égoïsme à celui d'enveloppe protectrice abritant une autre vie provoque une mutation de la conscience », que Donal Ryan saisit à la perfection. Le jeune écrivain irlandais n'en est pas à son coup d'essai (Le cœur qui tourne,Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe, Albin Michel, 2015 et 2017), mais il a fait preuve de persévérance, malgré quarante refus de ses manuscrits. On sent que Ryan a porté ce roman-ci dans chaque fibre de son être. Il transmet cette flamme sensible à l'héroïne qui grandit en même temps que l'enfant à naître. « Je ne suis ni démoniaque ni incapable de rédemption. » De quoi éveiller l'espoir.