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Couperin : le pouvoir de dire non

Couperin : le pouvoir de dire non

Le consortium Couperin a pris une décision exemplaire face aux grands fournisseurs de titres scientifiques et techniques dont les coûts d'abonnement ne cessent d'augmenter alors que l'offre en accès libre est de plus en plus importante.

On se souviendra peut-être que, en 1986, le Crédit lyonnais (désormais LCL) avait lancé avec succès une campagne de communication basée sur le slogan « Crédit Lyonnais, le pouvoir de dire oui ».
 
Par sa récente décision, le consortium Couperin, qui négocie l’acquisition de ressources en ligne pour la communauté française de l’enseignement supérieur et de la recherche (250 membres pour 2000 contrats), semble avoir inauguré un nouveau pouvoir, « le pouvoir de dire non ».
 
En effet, par un communiqué en date du 3 avril 2018, Couperin a indiqué avoir suspendu les négociations pour l’accès, en 2018, aux ressources en ligne de Springer-Nature, soit près de 1200 revues. Dans son communiqué, Couperin détaille les raisons de cette suspension, qui ne surprendront pas tous ceux et celles qui, depuis longtemps, observent les dérives mercantiles de la diffusion commerciale de l’information scientifique et technique, et notamment le fait que, alors que de plus en plus d’articles sont disponibles en open access, c’est-à-dire gratuitement, les coûts d’abonnement ne cessent d’augmenter.
 
Cette décision est exemplaire à plusieurs titres. Elle consacre une évolution profonde des relations entre les clients, essentiellement des bibliothèques et des grands centres documentaires, et les fournisseurs qui, si on met à part la multitude de ceux qui proposent un très petit nombre de titres, ne sont qu’une poignée à avoir une offre large : Relx Group (anciennement Reed Elsevier, de loin le plus important), Springer-Nature et Wolters-Kluwer.

Un tiers de l'offre est utilisée
 
La décision de Couperin repose en partie sur l’exploitation des statistiques d’utilisation des produits Springer, statistiques dont, depuis de longues années, les bibliothèques s’efforcent d’imposer la fourniture à leurs prestataires, comme en témoigne par exemple le projet Counter. Les bibliothèques ont toujours été avides de statistiques, collectées à des fins d’aide à la décision pas toujours probantes, Dans le cas présent, cette exploitation fine permet à Couperin d’indiquer qu’un tiers de l’offre proposée environ est véritablement utilisée, ce qui justifierait plutôt une réduction des coûts que leur augmentation.
 
Elle dénonce aussi, quoi qu’à mots feutrés, l’hypocrisie, voire le cynisme, de fournisseurs qui se sont efforcés de récupérer à leur bénéfice le mouvement de l’open access, en imposant le paiement à l’auteur ou à son institution (sous la forme d’APC, pour « article processing charges ») « en échange » du libre accès.
 
Couperin souligne que sa décision « représente pour l’éditeur un manque à gagner de plus de 5 millions d’euros par an ». Or, comme le disait en substance Bernard Tapie, « si vous devez 1000 euros à votre banque, vous avez un problème ; si vous lui devez 100 millions d’euros, c’est votre banque qui a un problème ». Certes, les bibliothèques et les organismes documentaires sont dépendants, pour l’accès à certaines ressources, de fournisseurs qui en détiennent l’exclusivité de diffusion. Mais, en retour, ces fournisseurs ne peuvent s’appuyer (surtout avec la montée en puissance des consortia) que sur un très petit nombre de clients pour rentabiliser leurs investissements.

Parallèle avec l'industrie du disque
 
La réaction de Springer-Nature au « coup de force » de Couperin confirme la justesse de cette analyse, qui, par un communiqué du 4 avril, déplore la situation, se dit prêt à de nouvelles négociations et, en attendant, maintient l’accès à ses ressources – qui, théoriquement, devrait être fermé depuis trois mois. Tout cela n’est sans doute pas du meilleur effet pour le groupe Springer-Nature à la veille de son entrée en bourse.
 
Un petit retour historique sur un modèle économique un peu comparable, celui des « majors » du disque, peut cependant laisser supposer que le modèle est à bout de souffle. En 1999, celles-ci firent tout leur possible pour interdire Napster, site illégal d’échange de fichiers musicaux en ligne. Napster disparaîtra en deux ans, mais le partage de fichiers se répandra, pour aboutir à une crise majeure du modèle, aujourd’hui péniblement surmontée avec les offres en streaming.
 
Aujourd’hui, c’est Elsevier qui fait condamner (aux Etats-Unis) Sci-Hub, site hébergé (semble-t-il) au Kazakhstan et qui propose de manière parfaitement illégale une part grandissante de la production des principaux éditeurs. Il ne serait pas raisonnable, dans une tribune officielle, d’espérer pour Elsevier, Springer-Nature et autres une fin semblable à celle des majors du disque, qui consacrerait la victoire de la transgression sur le respect de la légalité.
 
Mais il n’est pas interdit de le penser.
 

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