Avant-portrait

J’ai fait ma thèse sur le corps parce que j’étais mal dans ma peau." David Le Breton sourit comme pour marquer une évidence. L’anthropologue sait qu’un chercheur ne cesse d’interroger sa propre histoire en interrogeant celle des autres. A la fin des années 1970, il avait fui au Brésil pour se fuir lui-même, disparaître dans la lutte contre les dictatures d’Amérique latine ou dans l’enfer vert amazonien. Evidemment, dans cette volonté de disparaître, il s’est retrouvé. Il a même puisé dans cette expérience le matériau de sa réflexion : le rapport au corps, la marche au travers de l’errance, les conduites à risque chez les jeunes et aujourd’hui cette tentation de Disparaître de soi.

Cinéphile averti

"Je m’en suis sorti grâce à l’écriture et au cinéma." Il est resté un boulimique de littérature et un cinéphile averti qui voit cinq à six films par semaine. Cette passion se retrouve dans chacun de ses livres. C’est ce qui leur donne cet aspect "littéraire", ce goût sûr du rappel de la scène d’un film ou de la citation d’un roman qui fait que le lecteur se retrouve immédiatement, presque en familiarité, dans son œuvre déjà vaste : près de trente livres, un roman noir tiré de son expérience des squats, une centaine d’articles dans des revues scientifiques, une cinquantaine de traductions dans une douzaine de langues.

Son dernier ouvrage n’échappe pas à la règle. On y croise Gontcharov, Paul Auster, Simenon, Beckett, Pessoa… "J’ai travaillé sur un thème éminemment littéraire, mais très réel, très compréhensible par chacun. Il s’agit du mal de vivre et de la difficulté à porter son identité."

Face à cette difficulté d’être soi, certains choisissent de disparaître en s’adonnant à l’alcool, à la drogue, aux jeux vidéo ou s’évanouissent dans une secte ou dans l’intégrisme religieux. "Pour ces jeunes, le grand autre, c’est Dieu. Ils trouvent en lui une idéologie qui donne un sens à leur vie au-delà de la délinquance et de la prison. C’est ce glissement qui les conduit vers le radicalisme. On n’a plus besoin de réfléchir à soi ou de prendre soin de soi puisque Dieu pourvoit à tout. Et l’on n’a plus pitié de personne puisque Dieu autorise tout."

Cet état d’absence de soi plus ou moins prononcé qui va jusqu’à la maladie d’Alzheimer, David Le Breton la nomme blancheur. "C’est déjà de l’errance, le fait de prendre congé de soi, le besoin de relâcher la pression parce que l’existence nous pèse et qu’elle pèse à ce corps qui est notre carte de visite et dont nous ne pouvons nous défaire." Il n’est pourtant pas pessimiste face à la violence de nos sociétés. "Le monde est bien plus passionnant qu’il n’en a l’air. Et pourtant, ce lâcher-prise, tout le monde l’a éprouvé devant le trop-plein de travail ou l’absence de travail. On a tous besoin de cette expérience de disparition. Heureusement la plupart des gens en reviennent."
Laurent Lemire


David Le Breton
Disparaître de soi : une tentation contemporaine
Métailié
Prix : 17 euros, 210 p.
Sortie : 12 février
ISBN : 979-10-226-0160-3

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