31 OCTOBRE - HISTOIRE DES IDÉES France

Geoffroy de Lagasnerie- Photo DR/FAYARD

Naissance de la biopolitique est l'intitulé des cours de Michel Foucault au Collège de France durant l'année 1978-1979, qui portaient sur la théorie néolibérale. D'aucuns y décelèrent un virage de cuti idéologique, une droitisation de l'auteur de Surveiller et punir. Car en France, qui dit libéral et a fortiori néolibéral dit à droite, très à droite, voire "réac". C'était bien mal comprendre Foucault, qui à l'idéologie a toujours préféré l'esprit critique et n'a cessé de vouloir déconstruire les cadres qui enrégimentent la pensée. Alors pourquoi cet intérêt pour les plus farouches adversaires de l'Etat-providence et de l'interventionnisme économique prôné par Keynes ? Il s'agit pour Michel Foucault, répond le sociologue Geoffroy de Lagasnerie dans ce passionnant essai, de ne pas être bêtement contre mais de saisir en quoi le néolibéralisme rompt avec le libéralisme classique au travers d'une vision politique non moins utopique que le marxisme. Il s'agit de se sentir dépaysé et de se forcer à penser autrement. Le néolibéralisme, ce libéralisme labélisé "sauvage", ne serait alors plus réduit à "une petite doctrine économique de classe", >jeté dans le même sac que la droite conservatrice ou réactionnaire, avec laquelle, dans les faits, il est tactiquement allié contre le socialisme. "Une alliance négative", pour preuve : l'article célèbre de l'un des champions du néolibéralisme Friedrich Hayek, "Pourquoi je ne suis pas conservateur".

La démarche foucaldienne consisterait donc à "faire de la théorie néolibérale l'instrument d'un renouvellement de la théorie", "un instrument de critique de la réalité et de la pensée". Car "seule cette attitude permet de concevoir une contestation du néolibéralisme qui échapperait à la nostalgie, et qui n'opposerait pas au néolibéralisme ce qu'il a défait".

Tout l'intérêt du livre du directeur de la récente série d'essais critiques "A venir" chez Fayard est d'exposer un courant de pensée ici méconnu, voire méprisé. De Hayek à Isaiah Berlin et aux anti-Lumières, Lagasnerie montre avec une grande limpidité de plume ce qui a pu intéresser Michel Foucault dans le néolibéralisme : l'affirmation de la singularité contre le discours unitaire, le scepticisme à l'égard d'un modèle homogène imposé par l'Etat, la reconnaissance d'une multiplicité inhérente au réel. L'homo oeconomicus est un homme par définition "ingouvernable", électron libre livré à lui-même dans un monde sans transcendance : le marché ignore Dieu ou une quelconque instance supérieure, seules comptent les formes de l'association et du contrat entre deux sujets autonomes. En repérant les vertus émancipatrices du néolibéralisme, le philosophe, mort en 1984, n'a pas tant adhéré à cette théorie qu'il ne l'a utilisée comme "stratégie", comme "points d'appui possibles à l'élaboration de pratiques de désassujettissement". Bref, réinventer une politique émancipatrice plutôt que de restaurer le vieil ordre de l'ordre, fût-il de gauche.

Les dernières
actualités