4 JANVIER - ROMAN Turquie

Derdâ et Derda

Derdâ et Derda

Traduction inédite d'un jeune auteur turc de premier plan, qui narre les destins croisés d'une fille mariée de force à un intégriste londonien et d'un jeune nettoyeur de tombes, fan du père de la fiction moderne turque, Oguz Atay.

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Par Sean James Rose
Créé le 03.11.2014 à 18h37 ,
Mis à jour le 07.01.2015 à 11h47

Hakan Günday- Photo DR/GALAADE

Une fillette de 6 ans terrifiée par une bête au plafond se jette du lit superposé où elle est couchée et se fracture le crâne. C'est par une glaçante scène d'angoisse subjective et de mort violente que débute D'un extrême l'autre de Hakan Günday. La suite n'est que rebondissements et péripéties, entre effroi et burlesque, misère et baraka. Agée de 11 ans, Derdâ, à qui est consacré le premier pan de ce roman en diptyque, aurait dû dormir au-dessus de la petite mais avait refusé de céder la place du bas à la malheureuse phobique des insectes. La culpabilité taraude l'héroïne. Mais le remords va bientôt être concurrencé par un autre sentiment : le regret de l'école. Sa mère la ramène dans ses montagnes natales. Point de vacances pour Derdâ. La femme abandonnée par son mari et sans le sou vend sa fille, qui se retrouve mariée à un islamiste radical installé à Londres. De jour, Derdâ a droit aux prêches de l'imam, de nuit, aux assauts de son époux fou d'Allah. Elle ne peut sortir de l'appartement qu'en tchador - voile intégral, gants compris -, de toute façon elle ne sort jamais, hormis les visites à l'une des femmes du harem habitant un autre étage. Derdâ repère le voisin d'en face, un jeune Britannique tout de noir vêtu, à l'allure gothique. Au moment propice, elle ira le voir, il la sauvera. Comme elle ne sait pas l'anglais, elle fait un dessin. L'heure est venue. Sur le palier, elle tend le message dessiné au voisin gothique. Quand l'Anglais la fait entrer chez lui, voilà qu'il se met nu et à quatre pattes en lui pointant une matraque. Derdâ s'exécutera et deviendra la première égérie voilée du film X sadomaso...

Né en 1976, Hakan Günday signe un roman des plus singuliers où il tisse les destins croisés de la jeune Derdâ et de son alter ego au coeur pur, Derda, un nettoyeur de tombes, fan de l'inventeur du roman moderniste turc, Oguz Atay. La seconde partie, qui commence dans un cimetière stambouliote, vaut son pesant de rocambolesque : Derda, trop pauvre pour l'enterrer, découpe sa mère en morceaux pour l'ensevelir en petits bouts parmi les autres sépultures.

Sous l'imagination truculente, c'est un jeu permanent entre différents niveaux de lecture, le burlesque désamorce le pathos du réel, le faux kitsch n'empêche pas la critique du fondamentalisme islamique, ni celle des fantasmes orientalistes. Histoire de gens de peu - "peu", az en turc, est le titre original -, D'un extrême l'autre a l'ambition des grands livres. Tout aussi bien imprégné de fiction contemporaine turque que de littérature universelle (son roman de prédilection est Voyage au bout de la nuit de Céline), Hakan Günday a imaginé un conte "oriental" philosophique aux accents schopenhaueriens : "Tout mouvement, au bout du compte, génère de la souffrance, et si l'homme s'en doutait, il cesserait de se reproduire. Ou peut-être, pis encore, il continuerait. Parce qu'il est homme et que sa nature l'exige. Il ferait tout pour se perpétuer. Il laisserait à la maternité le cadavre de sa mère, il se cramponnerait à son frère siamois, il s'agripperait à la vie..." Un conte philosophique qui ne se prend pas au sérieux.

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