20 avril > Essai France

"Dites-moi quels sont vos héros, je vous dirai de quoi vous souffrez." Cette proposition, Boris Cyrulnik se l’applique d’abord à lui-même dans les premières pages d’Ivres paradis, bonheurs héroïques. Il se rappelle le Rémi de Sans famille d’Hector Malot, Oliver Twist, David Copperfield, Tarzan ou l’enfant de Jules Vallès. "Le héros, explique le neuropsychiatre, est un remède contre la faiblesse naturelle des enfants, la blessure relationnelle des adultes ou l’humiliation historique d’une nation."

C’est en effet par un récit épique et tragique que débute le plus souvent l’histoire d’un groupe ou d’un pays. Voyez l’Odyssée, les sagas scandinaves, les Nibelungen, La chanson de Roland, Le Kalevala, Les Lusiades, Le Mahabharata, etc. "Toutes les cultures ont besoin de héros puisqu’il n’y a pas d’Histoire sans tragédies."

Boris Cyrulnik va donc remonter l’histoire, à commencer par la sienne, celle de ses parents juifs morts en déportation et lui qui échappe par miracle à la Gestapo. Il raconte aussi comment les insurgés du ghetto de Varsovie sont passés de victimes à braves. Comme aux héros mythiques "on ne leur demande pas d’être vainqueurs, on leur demande de réparer notre psychisme bafoué". Le spécialiste de la résilience explique donc ce qui se passe dans notre recherche de personnages qui sont d’autant plus grands que nous sommes petits.

Il aborde ainsi à plusieurs reprises le thème très actuel du sacrifice. Mais le vrai héros doit-il se sacrifier pour une cause ou pour un dieu ? "Le problème, c’est que le sacré est une abstraction si élevée qu’elle coupe fréquemment le sujet de la perception du réel et lui fait ressentir la moindre divergence comme "une offense au sentiment religieux"."

Boris Cyrulnik ne dit pas ce qu’il convient de penser en fonction de ce qu’il pense. Il écoute, il observe. Cela ne nous permet pas de résoudre forcément le problème, mais d’espérer y parvenir. A la lumière des avancées des neurosciences et des données cliniques sur le développement chez l’enfant, l’auteur des best-sellers que furent Sauve-toi, la vie t’appelle (2012), Mourir de dire : la honte (2010) ou Autobiographie d’un épouvantail (2008) démontre les interactions entre le corps et le psychisme.

Bien sûr, il évoque ces fanatiques qui se font exploser au milieu d’une foule pour tuer le plus de gens possible. "Eux qui se disent "révolutionnaires" ou "bras armé de Dieu" ne sont que des pantins déculturés. Un appauvrissement affectif préverbal, au tout début de leur existence, a façonné un cerveau incapable d’inhiber leurs pulsions." Ces djihadistes préfèrent donc tuer en mourant. "La mort n’est pas un objet, c’est une représentation qui se construit au gré du développement d’un sujet dans son contexte historique." On retrouve dans cet ouvrage la parole paisible, la générosité et l’intelligence de ce médecin pas comme les autres qui nous dit que tout n’est pas perdu. Alors, le héros, oui, mais à dose homéopathique. Laurent Lemire

 

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