Chacune des histoires de Pierre Gagnon est un morceau de vie, un petit monde autonome auquel on ne pourrait rien ajouter ni retrancher, sous peine d'en compromettre l'équilibre. Car le thème de prédilection de l'auteur, justement, semble bien être la fragilité de la vie et des entreprises humaines.
Ce n'est pas un hasard si le recueil commence dans l'ambulance qui transporte le narrateur, fort mal en point, aux urgences. Et s'achève dans un salon du livre où un lecteur lui demande s'il cessera jamais de "parler de cette maudite maladie », comprenons le cancer. Réponse de l'intéressé : "Si, Monsieur. Lorsque nous serons tous sauvés, du premier jusqu'au dernier ! » En 2002-2003, Gagnon lui-même fut victime de la maladie, douloureuse expérience qu'il racontera par la suite dans 5-FU, best-seller en 2005 au Québec.
Les histoires que conte Pierre Gagnon, quoique sans pathos aucun, sont parfois tristes, voire insoutenables. Comme « La mimoune », où le narrateur, en balade à vélo, tombe sur une jeune chatte accidentée et va, s'acharnant à la sauver alors que de toute évidence il n'en est plus temps, ne faire que prolonger les souffrances du malheureux animal. Gagnon sait manier comme personne la description froide, presque clinique.
Mais qu'on se rassure, il en est de plus optimistes. Ainsi celle qui donne son titre au recueil, « J'ai vendu ma bagnole à un Polonais ». L'histoire d'un type qui possède une vieille et robuste Mercedes, dont il ne parvient pas à se débarrasser. Jusqu'à ce que, attiré par une petite annonce, un géant polonais, aussi colossal qu'inquiétant, et escorté d'une nombreuse tribu, se montre intéressé. S'agit-il d'un voyou, d'un mafieux qui, au mieux, va voler la voiture, au pis assassiner son propriétaire ? En l'occurrence, le Polonais est un brave type honnête, qui a juste besoin d'un véhicule solide et endurant pour trimbaler sa smala...
Tout cela est varié, un peu rock'n'roll (à l'origine, Gagnon est musicien), bien fichu. Dans la continuité de Mon vieux et moi, son premier recueil publié en France, chez Autrement en 2010, et qui s'était taillé un joli succès. Comme quoi, les nouvelles peuvent trouver leur public, même de ce côté-ci de l'Atlantique. Pourvu qu'elles soient bonnes.
