Photo JOHN FOLEY/P.O.L

Enquêter sans savoir ce que l'on espère trouver, suivre les traces de quelqu'un que l'on ne connaît pas et s'égarer au cours de la filature, voilà en quoi consiste l'essentiel du travail de Nathalie Léger. Profession : détective. Après un premier roman enchanteur, L'exposition (P.O.L, 2008), où elle sondait le mystère de la comtesse de Castiglione à travers les portraits photographiques que cette beauté du XIXe siècle a fait faire d'elle durant toute sa vie, Supplément à la vie de Barbara Loden, un nouveau texte hors genre, est une variation autour de la comédienne américaine qui a écrit et réalisé en 1970 un unique chef-d'oeuvre dans lequel elle tenait le rôle-titre, Wanda. L'histoire d'une fille qui, dans la minière Pennsylvanie, quitte mari et enfants... Un inoubliable personnage de femme qui erre. "Il est vraiment difficile de bien raconter une histoire simple", avait dit à l'un de ses proches la cinéaste qui fut la seconde femme d'Elia Kazan. L'écrivaine ne la contredira pas.

Nathalie Léger est aujourd'hui directrice adjointe de l'Imec, où elle est entrée comme chercheuse il y a une vingtaine d'années, avant d'intégrer l'équipe dirigée par Olivier Corpet en 2004, au moment du déménagement de l'Institut de Paris à l'abbaye d'Ardenne. Au départ, elle s'est occupée des archives sur le théâtre. Un parcours naturel pour celle qui travaillait aux débuts des années 1990 comme assistante à la mise en scène auprès de Jacques Lassalle, alors administrateur de la Comédie-Française. Au cours de cette première période, elle se chargera notamment de l'organisation d'une grande exposition consacrée à Antoine Vitez à Avignon, et de la direction des cinq volumes de ses Ecrits sur le théâtre publiés par P.O.L. Puis, à partir de 1996, c'est "la grande aventure" avec le fonds Roland Barthes. Pour l'Imec, en coédition avec Seuil, elle établira en 2003 l'édition de La préparation du roman, les deux derniers cours du sémiologue au Collège de France, ainsi que la "présentation plus légère", moins scientifique, de ce "livre fragile, ténu, presque un murmure" qu'est Journal de deuil (en janvier chez Points). Elle sera aussi, avec Marianne Alphant, commissaire de l'exposition "Roland Barthes" à Beaubourg en 2002-2003.

Intuitions et ruptures

Nathalie Léger poursuit en parallèle l'expérimentation d'une écriture à la fois plus fictionnelle et subjective, amorcée avec l'essai déjà très singulier Les vies silencieuses de Samuel Beckett (Allia, 2006). Supplément à la vie de Barbara Loden part d'une commande. La narratrice doit rédiger une notice sur Wanda pour un dictionnaire de cinéma mais se perd (et trouve autre chose) en route. "J'avais le sentiment de maîtriser un énorme chantier dont j'extrairais une miniature de la modernité réduite à sa plus simple complexité : une femme raconte sa propre histoire à travers celle d'une autre », écrit-elle au début du récit, qui monte en parallèle les trajectoires liées de plusieurs femmes : Barbara Loden, Wanda, la narratrice, sa mère, mais aussi la jeune femme du fait divers réel qui a inspiré la réalisatrice... On retrouve cette narration séduisante, doucement entêtée, fragmentée et pourtant fluide qui se construit par intuitions, corrélations et ruptures. Une forme souple pour une quête oblique. "Je suis assez incertaine », dit Nathalie Léger. La narratrice, elle, précise : "J'hésite entre ne rien savoir et tout savoir, n'écrire qu'à la condition de tout ignorer ou n'écrire qu'à la condition de ne rien omettre. » Mais plus encore dans ce livre, l'écrivaine reconnaît s'être employée, en bonne lectrice de Barthes et de sa "Leçon inaugurale", à "se désapprendre », à se défaire de la théorie, pour parler toujours plus indirectement de ce qu'est l'écriture.

A l'Imec, Nathalie Léger a créé "Le lieu de l'archive", une collection de fascicules dans laquelle elle interroge des écrivains et des artistes - après Maurice Olender, Jean-Bertrand Pontalis et Jean-Luc Nancy, ce sera prochainement au tour de Gwenaëlle Aubry - sur leur relation "au passé de leur propre travail ». L'archive, avance-t-elle dans la présentation de ces entretiens, "c'est ce qui reste, dira-t-on, mais c'est aussi, dit l'étymologie, ce qui commence ». Dans ses livres, les fins, les impasses sont aussi des débuts. Et quand le fils de Barbara Loden, contacté au téléphone, demande à la narratrice : "J'ai 25 boîtes d'archives [...], qu'est ce que vous cherchez ? », elle ne sait pas quoi répondre. Mais ça ne l'empêche pas de continuer à chercher.

Supplément à la vie de Barbara Loden, Nathalie Léger (P.O.L), ISBN : 978-2-8180-1480-6, 13 euros, 160 p., sortie le 5 janvier.

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