Edition

A deux, c’est mieux ?

Olivier Dion

A deux, c’est mieux ?

Des dizaines de maisons d’édition sont aujourd’hui gérées par des couples à la ville, qui ont fait le choix d’entremêler vie privée et vie professionnelle, inventant un mode de gestion original. Equilibre de vie, risque financier, rapport aux équipes, souci de légitimité… Livres Hebdo les a rencontrés pour comprendre leur quotidien.

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Par Pauline Leduc
Créé le 02.06.2017 à 01h32 ,
Mis à jour le 02.06.2017 à 06h52

De L’Agrume à Indigène, en passant par Les Liens qui libèrent, L’Antilope, Corti, Odile Jacob, L’Aube, Hervé Chopin, Le Cursinu, Les Arènes, Héloïse d’Ormesson, Sarbacane, Finitude ou encore La Plage, ce sont des dizaines de maisons aux âges, lignes éditoriales et fonctionnements variés qui sont aujourd’hui gérées par un couple.

Combien sont-ils précisément à avoir fait le choix d’éditer ensemble ? Difficile d’évaluer l’ampleur du phénomène puisque ces amoureux de l’édition restent souvent discrets, voire se méfient de l’attention portée à leur situation. "Nous ne sommes pas si différents de tous ces couples qui tiennent une boulangerie ou une charcuterie", avance ainsi Gilles Cohen-Solal, le cofondateur des éditions Héloïse d’Ormesson. Loin d’être spécifique au monde du livre, le travail en couple est en effet traditionnellement l’apanage de l’artisanat. Et c’est d’ailleurs comme des artisans que se conçoivent nombre de duos qui ont accepté de nous rencontrer.

Un phénomène récent

A l’exception d’Actes Sud, petite maison devenue groupe, ils ont créé de leurs mains des structures à taille humaine, comparables plus souvent à des TPE qu’à des PME, et produisent le fruit de leur savoir-faire. Cependant, à la différence d’autres branches professionnelles, l’édition est longtemps restée peu propice aux couples. "Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les binômes d’éditeurs étaient plutôt traditionnellement des frères, ce n’est qu’après Mai 68 et l’émancipation féminine qu’on voit émerger dans ce milieu très masculin quelques couples comme Vera Michalski et son mari", explique l’historien Jean-Yves Mollier. Plus de quarante après et malgré l’évolution des mœurs, la légitimité professionnelle des éditrices est d’ailleurs encore parfois remise en question. Renvoyées à l’image de "femmes de", suspectées de "promotion canapé", ou "simplement" ignorées au profit de leur mari, certaines ont dû "faire leurs preuves" pour s’imposer.

Une situation d’autant plus absurde que l’image du couple où l’homme dirige seul la société tandis que sa femme édite les textes qui lui plaisent de son côté reste fantasmée. Les couples qui se lancent dans l’édition sont portés par un engagement commun au service duquel ils mettent leur complémentarité.

Si le pari de concentrer les sources de revenus d’une famille dans une seule entreprise peut être risqué, la confiance qu’ils tirent de leurs relations personnelles a convaincu ces couples de se lancer. Certains voient un sens caché à un texte là où l’autre ne l’avait pas vu, d’autres contrebalancent avec leur bagou la prudence de leur conjoint. Et tous peuvent compter double quant à leurs compétences. D’où le nombre important de duos se définissant eux-mêmes comme des éditeurs "à deux têtes".

Bien loin du mode de fonctionnement du Groupe du 27 dont la taille et l’organisation induisent une indépendance complice, certaines maisons carburent à l’"osmose". Sans domaines d’action séparés - ce qui prévaut chez Sarbacane et participe à l’équilibre des fondateurs -, les éditeurs de Finitude ou de L’Agrume décident ainsi de tout à deux, choisissant ensemble les textes qu’ils éditeront à quatre mains. Dans ces petites maisons, cette manière de faire n’est pas subie, elle est plutôt, selon eux, choisie. Autosuffisants, fusionnels et heureux de l’être, ces binômes ne souhaitent pas particulièrement voir arriver d’autres salariés qui viendraient bouleverser leur équilibre. D’autres ont brisé leur bulle et accueilli des collaborateurs qu’ils ont appris à inclure, plus ou moins facilement, dans leur fonctionnement, adaptant leur comportement ou leur communication.

Histoire d’amour

Chez certains, la greffe a si bien pris que les salariés se sont retrouvés embarqués, nolens volens, dans la vie quotidienne des couples. Et tout particulièrement lorsque les bureaux des éditeurs sont installés dans leur propre maison, facilitant le décloisonnement entre vie privée et vie professionnelle. Si certains cherchent à résister, déménageant leurs bureaux, comme le firent Isabelle et Hervé Chopin il y a quelques années, ou s’interdisant durant les vacances de "parler boulot", beaucoup cultivent au contraire le mélange des genres tant leur maison leur est intimement liée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’ils sont nombreux à la comparer à un enfant qui les enrichirait autant qu’ils le nourrissent.

Et quand ça se passe mal ? Certains couples n’ont pas survécu mais leurs maisons, parfois, si. Chacun reprenant alors ses billes. Le caractère entremêlé de cet échec intime et professionnel fait que, plusieurs années après, les blessures ne sont pas refermées et les protagonistes ont refusé d’en témoigner.

L’Agrume : les bébés naissent dans les livres

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"Editer en couple dans sa propre maison, c’est un luxe pour la vie de famille", sourit Guillaume Griffon, en berçant d’une main la poussette où babille placidement l’un des jumeaux qu’il a eus, voilà quelques mois, avec son "alter ego", Chloé Marquaire. En cinq ans, l’éditeur et l’artiste protéiforme, qui se sont rencontrés chez Autrement en 2007, ont réussi à asseoir la réputation de leur maison tournée vers l’illustration contemporaine (romans graphiques, albums jeunesse) tout en élevant trois jeunes enfants. "L’arrivée de L’Agrume comme celle de nos enfants, cela s’est passé un peu dans le même temps, et c’est là notre équilibre : vie pro et vie perso se nourrissent", explique l’éditeur. Certes, et malgré l’aide d’une "super stagiaire", le quotidien du couple de trentenaires est "vraiment sportif". Mais, estime-t-il, tout est simplifié par le fait qu’ils sont "sur la même longueur d’onde". Un mode de fonctionnement complice, voire fusionnel, qui les amène à aborder leur activité éditoriale et à prendre les décisions "de A à Z complètement à deux". D’ailleurs, précise Guillaume Griffon, "nous ne sommes pas deux mais plutôt une même personne avec deux facettes : on discute tout le temps, mais pour aller dans le même sens". Puisque la maison, "c’est [eux]", ils peuvent se permettre de déplacer la structure aux gré des vacances ou des besoins, et de se créer un rythme "de folie, mais sur mesure".

HC éditions : l’éditeur à deux têtes

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Depuis quelque temps, le fondateur des éditions Hervé Chopin (HC) réfléchit à changer le nom de la maison qu’il a montée en 1994. Car, après dix ans de "vivotage" durant lesquels l’éditeur publiait un beau livre par an, il a réveillé et développé la société avec sa femme, Isabelle, en s’ouvrant notamment à la littérature. "L’aventure a vraiment commencé en 2004 avec elle, il est donc injuste que la structure porte mon nom", insiste Hervé Chopin.

Pour sa part, l’éditrice et directrice éditoriale n’y voit aucun problème, même si elle a souffert à ses débuts de "cette image de "femme de"" qu’on lui a souvent renvoyée. Un sentiment d’illégitimité qui l’a poussée à prendre le statut de travailleuse indépendante jusqu’en 2010 pour un travail à temps plein dans la maison.

Cela n’a pas empêché le couple de se construire comme "un être à deux têtes". "A nous deux, on forme l’éditeur idéal, capable d’être proche des textes, des auteurs tout en développant une stratégie entrepreneuriale brillante", sourit Isabelle Chopin.

"En osmose", ils se voient tout le temps, déjeunent "en tête à tête au moins trois fois par semaine" et partagent le même bureau qui a longtemps été installé au rez-de-chaussée de leur propre maison. "Il y avait un côté famille très sympa, nos enfants étaient proches de toute l’équipe, mais notre vie privée était trop imbriquée dans le travail, donc on a déménagé", expliquent-ils. Une maison d’édition, compare l’éditrice, "c’est comme un enfant", il fallait donc qu’elle "sorte du giron et prenne son envol".

La Plage : comme une évidence

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Face à ceux qui s’étonnent qu’elle partage sa vie privée et sa vie professionnelle avec son conjoint, Laurence Auger est elle-même surprise. "Au siècle dernier, tout le monde travaillait en couple, c’était un fonctionnement naturel : en éditant ensemble, on revient finalement à la norme", s’amuse la cofondatrice de La Plage.

Une maison créée, donc, "comme une évidence" en 1993 par cette ancienne éditrice d’Hachette et Jean-Luc Ferrante, alors ingénieur commercial, qui ont "tout lâché" pour se lancer. "On s’aime, donc on avait envie d’être tout le temps ensemble et on partage en plus des convictions écologiques, une vision du monde, qu’on voulait porter par ce biais", explique-t-il.

Fusionnel, le couple n’en a pas moins des domaines de compétence bien séparés, une des clés selon eux de la longévité de leur aventure professionnelle. Lui assure la gestion et l’aspect commercial, tandis qu’elle s’occupe de l’éditorial. Ce qui nécessite, d’après Laurence Auger, une confiance absolue et respective que seul un couple peut avoir. "Je lui fais confiance les yeux fermés sur la gestion des finances. Cela serait de l’inconscience avec d’autres personnes."

Un fonctionnement en binôme qui a été bouleversé par l’arrivée d’autres salariés lorsque La Plage s’est développée il y a quelques années. "On a eu peur de se retrouver enfermés dans notre bulle, que le mélange ne prenne pas", se souviennent-ils.

Cela a nécessité quelques "ajustements". Ils ont notamment appris "à communiquer aux autres" toutes ces choses qu’ils concevaient entre eux deux, sans même se parler, comme des évidences.

Sarbacane : l’équilibre

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Frédéric Lavabre et Emmanuelle Beulque n’ont jamais particulièrement mis en lumière, dans leur vie professionnelle, le couple qu’ils forment depuis 1981. La directrice éditoriale et le directeur général de Sarbacane ont même un temps évité de "communiquer sur la question". Parce qu’il s’agit de leur vie privée, mais aussi peut-être parce que l’éditrice a été plusieurs fois ramenée à son "statut de femme du patron" et aux questions de légitimité l’accompagnant. "Avec le temps c’est passé, maintenant on plaisante tranquillement de mon emploi fictif, c’est à la mode", rigole Emmanuelle Beulque.

Quinze ans après le lancement de la maison spécialisée dans les albums illustrés, le couple a trouvé son équilibre. "Lorsqu’on a commencé, nous n’avions jamais travaillé ensemble, on a donc appris à se connaître dans ce cadre nouveau", raconte Frédéric Lavabre. Les deux éditeurs ont ainsi adapté leur manière de se parler - "on est plus durs entre nous qu’avec les autres mais on connaît maintenant les limites" -, en privé comme en public. "Au début, je me suis parfois opposée brutalement à Frédéric devant les salariés, comme si nous n’étions que tous les deux", se rappelle l’ancienne traductrice.

Leurs domaines de compétences autrefois bien séparés - elle au texte, lui à l’image - ont doucement évolué, s’entremêlant mesure que nos univers s’imprégnaient l’un l’autre". Heureux de partager cette passion de l’édition, le binôme conçoit l’aventure Sarbacane comme une manière "de rester créatifs ensemble". "Et c’est d’autant plus important depuis que nos enfants quittent le nid ; la maison, elle, reste", s’amuse l’éditeur.

Les Arènes : ensemble mais

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"On est presque hors sujet puisqu’on n’édite pas en couple", préviennent d’emblée, mais tout sourire, les deux éditeurs. De fait, au sein du Groupe du 27, Laurent Beccaria et Sophie de Sivry sont chacun à la tête de leur propre entreprise même si elles ont été lancées presque simultanément, il y a près de vingt ans, alors qu’ils étaient déjà "amoureux et éditeurs". Deux maisons nées dans deux chambres d’étudiant aussi distinctes que leurs lignes éditoriales. Les Arènes pour lui en 1997, L’Iconoclaste pour elle en 1998, réunies depuis avec Rollin Publications dans le Groupe du 27 détenu par la holding BSA (Beccaria, Sivry et associés), dont ils sont tous deux actionnaires.

"Nous avons choisi cette structure commune pour des raisons pratiques, mais notre objectif n’a jamais été de travailler ensemble", insiste Laurent Beccaria qui compare leur mode de fonctionnement à celui d’un cabinet d’avocats. "On édite chacun de notre côté, on fait nos comptes séparément, mais on partage les frais de structures : loyer, service de presse, etc.", résume Sophie de Sivry.

Cette forme de cohabitation ne les empêche "évidemment" pas de s’apporter "parfois" conseils et avis, mais dans le "cadre du bureau uniquement". "J’ai déjà travaillé dans des maisons familiales et je n’aimais pas cette impression, en tant que salariée, que des choses essentielles soient discutées dans le cadre de l’intimité", explique l’éditrice.

Un cloisonnement qui leur permet aussi de protéger la "si mince" barrière entre vie privée, notamment familiale avec leurs quatre filles, et vie professionnelle. Pour ne pas faire de leur couple "un duo à part dans le groupe", les deux éditeurs ont décidé de traiter les salariés de la même manière qu’ils se traitent entre eux. "Cette liberté (notamment de ton) et cette confiance qu’on aime entre nous, on les a sûrement fait inconsciemment rejaillir sur nos collaborateurs", estime Sophie de Sivry.

D’ailleurs, s’amuse Laurent Beccaria, "c’est troublant, mais le Groupe du 27 est un véritable nid à couples d’éditeurs, qui fonctionnent à peu près comme nous".

Héloïse d’Ormesson : complètement complémentaires

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En 2004, lorsque Héloïse d’Ormesson a annoncé à sa mère qu’elle lançait une maison d’édition avec son compagnon, Gilles Cohen-Solal, cette dernière l’a mise en garde : "Travailler ensemble c’est de la folie, vous allez vous déchirer !" Treize ans plus tard, le couple tout comme la maison se portent fort bien, l’un ayant renforcé l’autre "et vice versa".

La recette ? "Nous sommes complètement complémentaires", déclarent-ils de concert, jugeant que "séparément l’aventure aurait été impossible". Il dit d’elle qu’elle est une excellente, "voire la meilleure", éditrice de littérature étrangère. De lui, elle dresse le portrait d’un "consultant de génie", louant son audace et son bagou, elle qui a "toujours eu tendance à s’effacer". "Moi je freine, lui il accélère : ensemble on a le bon rythme", résume Héloïse d’Ormesson alors que Gilles Cohen-Solal, adepte des formulations piquantes, parle de la complémentarité entre sa "mégalomanie" et le "talent d’Héloïse".

Un équilibre qui s’est construit au fil des années. "Fille de", Héloïse d’Ormesson s’est sentie "attendue au tournant, dans les premiers temps" à cause de son nom, "des avantages qu’il représente", même si elle a été "touchée par la bienveillance du monde du livre" lorsqu’ils ont lancé la maison. "Et c’est moi qui ai insisté pour qu’elle porte son nom, il n’y a pas à en avoir honte", explique l’éditeur, qui s’occupe de la partie essais mais porte aussi la casquette de directeur commercial.

"Dans cette structure à son nom et dont je ne suis pas investisseur, il me semble normal qu’Héloïse, directrice littéraire et P-DG, ait toujours le dernier mot sur les projets éditoriaux", précise-t-il. Pour le couple, l’édition est un mode de vie plus qu’un travail, auquel ils ont conscience d’avoir quelque peu sacrifié leur "sphère intime" : "Finalement, l’enfant que nous avons eu ensemble, c’est la maison."

Indigène : un double engagement

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Lorsqu’ils évoquent Indigène, Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou parlent beaucoup d’amour. Et le conjuguent systématiquement avec la notion d’engagement. "Nous sommes tombés amoureux parce que nous partagions le désir de faire de notre vie et de notre relation un vrai engagement, que nous portons depuis 1996 par le biais de la maison", résume la normalienne et ancienne correspondante du Monde. Avant l’aventure Indigène, le couple a partagé durant quinze ans d’autres péripéties et une passion pour les "arts et savoirs des cultures non industrielles du monde" autour desquels ils ont bâti leur catalogue. Ce dernier, estime Jean-Pierre Barou, qui fut notamment cofondateur de Libération, reflète la "complicité amoureuse et intellectuelle" qui les unit. Indigène publiant très majoritairement des projets "provoqués" par les éditeurs, chaque titre, choisi ou non à deux, porte "une part de cet esprit de résistance qui [les] caractérise". C’est pourquoi le couple a vécu le succès d’Indignez-vous ! (2010) comme une "consécration amoureuse" autant qu’éditoriale. Dans leur maison montpelliéraine, dont le grenier fait office de bureau, le binôme cultive une "exaltation permanente" où les frontières entre sphères privée et professionnelle sont abolies. Leurs deux enfants participent ainsi régulièrement au choix des couvertures, donnent leur avis sur les sujets traités. Pourtant, "ils ne veulent absolument pas nous rejoindre, sûrement parce qu’ils nous ont trop vu ramer financièrement". Une maison d’édition, aime à dire Sylvie Crossman, c’est "une aventure de conscience, et donc de vie avec ses hauts et ses bas".

Actes Sud : une vie privée et professionnelle sans cloison

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"Tu te rends compte que cela va faire trente-cinq ans de tout entre nous", lance joyeusement Françoise Nyssen à Jean-Paul Capitani. En ce 9 mai, à la terrasse d’un café parisien, l’éditrice, qui n’était pas encore ministre de la Culture et n’avait pas encore quitté ses fonctions de présidente d’Actes Sud, et son mari, s’emploient à retracer leur histoire, "si intimement imbriquée" dans celle de la maison d’édition.

"Tout est parti d’une rencontre romanesque", commence Françoise Nyssen. Un beau jour de 1982, alors qu’elle avait rejoint son père et sa compagne pour lancer l’aventure d’Actes Sud, "Jean-Paul vient frapper à la porte de la grange du Paradou où la maison était installée". A l’époque, ce dernier venait de monter au Méjan (Arles) un cinéma d’art et essai et cherchait à développer une librairie. "Je ne trouvais personne qui me corresponde, jusqu’à Françoise", dit-il en souriant. "On ne s’était jamais vus, mais une amie commune m’avait dit quelques mois auparavant qu’il était fait pour moi : alors quand il se présente et me parle de son projet de librairie, moi qui rêvais d’en monter une depuis mon enfance, ça a fait tilt", se souvient-elle. L’ingénieur agronome de formation et l’éditrice passée par les luttes urbaines partagent le goût de l’engagement citoyen, et c’est "tout naturellement" que Jean-Paul Capitani rejoint Actes Sud.

Au sein de cette structure qu’Hubert Nyssen avait pensée comme une coopérative, "il n’ y avait pas de patron, de hiérarchie, on travaillait tous ensemble selon nos compétences", détaille l’éditeur qui s’est occupé autant de la direction commerciale que des travaux de la maison. Cette notion de coopération a continué de prévaloir quand la société a grossi. "Lorsqu’on dit qu’on est une maison familiale, ce n’est pas seulement parce que nous y travaillons avec nos filles : on traite nos collaborateurs comme on se traite nous-même, avec affection", précise Françoise Nyssen avant de rappeler que la maison est gérée avec Bertrand Py.

Complémentaire, "en débat perpétuel", complice, mais "pas béni-oui-oui", le couple, qui a essaimé son engagement bien au-delà de l’édition, a toujours cherché à décloisonner vie privée et vie professionnelle, à tel point que leur équilibre tient dans ce "méli-mélo d’amour, d’édition, de création, d’amitié et d’engagement" qu’ils aiment tant.

Finitude : deux qui font un

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Editer séparément ? "On ne saurait pas faire", répondent de but en blanc les fondateurs de Finitude. A 48 ans, Emmanuelle et Thierry Boizet ont toujours travaillé ensemble et se sont construits mutuellement, tant sur le plan professionnel que personnel. "Matin, soir, en vacances comme au petit déjeuner : on est tout le temps ensemble à partager nos idées."

Mus par les mêmes envies, ils ont d’abord lancé une librairie de livres anciens en 1994, alors qu’ils étaient fraîchement diplômés et jeunes amoureux, avant de créer la maison girondine de littérature en 2002. "Nous n’avons pas décidé qui ferait quoi, c’est très naturel et entremêlé", explique l’éditrice.

Si au quotidien elle s’occupe plus particulièrement de la gestion, tandis que son mari gère la partie graphique, ils travaillent en osmose chacun des titres qu’ils publient. "Nos sensibilités se complètent, on voit par exemple dans le texte quelque chose que l’autre n’aura pas senti."

Pour eux, hors de question d’œuvrer "juste côte à côte". Ainsi, si l’un souhaite éditer un livre qui ne convainc pas totalement l’autre, le projet ne verra jamais le jour. "On a une manière de fonctionner tellement imbriquée et instinctive qu’il est difficile de déléguer quoi que ce soit", reconnaît Emmanuelle Boizet. Et le couple tient à protéger cet équilibre. Malgré le succès d’En attendant Bojangles (2016), ils ne souhaitent "pas particulièrement" développer la maison et y faire entrer d’autres salariés.

Heureux de leur mode de vie, ils soulignent cependant que l’édition empiète franchement sur leur vie privée. "Autant vous dire que nos deux enfants, qui ont vécu cet aspect chronophage de l’intérieur, n’ont absolument aucune envie de nous rejoindre dans la maison", s’esclaffe l’éditrice.

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