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Après une année 2017 mitigée, marquée par les élections et les incertitudes géopolitiques, l’année 2018 verra revenir au premier plan les préoccupations de fond de notre secteur d’activité, de la promotion du livre à la consolidation de la librairie, de l’amélioration de l’accès aux bibliothèques à la protection du droit d’auteur et à la modernisation de la chaîne industrielle.

La promotion du livre

Depuis Balzac, le modèle était resté le même. L’éditeur publie l’auteur, son livre est remarqué ou pas par la critique, et les lecteurs l’achètent ou pas chez leur libraire. La révolution numérique a balayé ce schéma. L’auteur peut désormais s’exprimer sur la Toile sans passer par un éditeur, tout comme les lecteurs voire les critiques via les réseaux sociaux. Une presse sous perfusion avec des pages de plus en plus étiques, moins prescriptrices et un Nouveau Magazine littéraire moins littéraire ont également de quoi nourrir l’inquiétude. A l’inverse, l’arrivée d’Adèle Van Reeth sur Public Sénat pour présenter une nouvelle émission littéraire après l’arrêt de "Bibliothèque Médicis" rassure. Paradoxalement, l’objet livre qui peine à se dématérialiser doit faire avec ce nouvel environnement numérique. Le baromètre mis en œuvre par Ipsos à la demande du CNL depuis 2015 constate cette mutation. En 2017, 71 % des sondés évoquaient le manque de temps pour la lecture à cause des smartphones et des services de streaming, mais 67 % déclaraient qu’ils aimeraient lire plus de livres. Tout n’est donc pas perdu.

C’est sur ce désir de lire, toujours vivace, qu’il faut faire levier en faveur de la promotion qui devrait être au cœur des Assises nationales des bibliothèques et de la lecturepublique en mars prochain. Il importe donc à l’Etat, aux ministères de la Culture et de l’Education nationale, aux collectivités locales, aux libraires, aux bibliothécaires, aux associations, aux organisateurs de salons et aux lecteurs eux-mêmes de poursuivre leur effort afin de pallier la faiblesse des outils de promotion classiques pour faire revenir les publics perdus dans Internet. Le maintien du livre dans un monde numérique est à ce prix. L. L.

Ouvrir les bibliothèques plus et mieux

Il y a un consensus sur l’objectif d’ouvrir plus les bibliothèques (médiathèque L'Echo, Le Kremlin-Bicêtre).- Photo OLIVIER DION

Engagement de campagne du président Emmanuel Macron, l’élargissement des horaires d’ouverture occupera en 2018 une place importante dans l’actualité des bibliothèques publiques. La question est loin d’être nouvelle - Aurélie Filippetti, notamment, ministre de la Culture de 2012 à 2014, en avait fait l’un de ses chevaux de bataille -, mais elle se trouve portée cette fois au plus haut niveau de l’Etat. Selon une information recueillie par Livres Hebdo, le président de la République devrait d’ailleurs rebondir en février sur le rapport de la mission confiée à l’académicien Erik Orsenna, dont la présentation, initialement prévue le 20 décembre, a été reportée dans le courant du mois de janvier. Le prochain rendez-vous national sera la tenue des Assises des bibliothèques et de la lecture publique, annoncées pour le printemps.

En septembre dernier, la journée nationale sur les bibliothèques, qui lançait officiellement la mission Orsenna et qui a rassemblé représentants du ministère de la Culture, élus et professionnels des bibliothèques, avait mis en évidence le consensus sur l’objectif d’ouvrir plus et mieux les bibliothèques, mais également son principal frein : le financement. L’Association des bibliothécaires de France et l’ONG Bibliothèques sans frontières avaient interpellé le gouvernement sur la nécessité de donner aux collectivités territoriales les moyens financiers nécessaires. Une demande en partie entendue puisqu’un amendement à la loi de finances 2018, voté le 15 décembre 2017, prévoit un budget supplémentaire de 8 millions d’euros pour l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques. V. H.

La pérennisation des grandes librairies

Elles se sont construites au fil du temps et constituent les emblèmes du réseau de distribution du livre en France. Mais aujourd’hui, les grandes librairies indépendantes doivent faire face à un enjeu majeur : leur transmission. Qui peut reprendre des paquebots tels Dialogues à Brest, Martelle à Amiens ou La Boîte à livres à Tours, lesquels dépassent le millier de mètres carrés, dégagent plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires et ont à leur tête des libraires en âge d’y réfléchir ?

Les exemples récents de Richer à Angers, de Sauramps à Montpellier ou même d’Ombres blanches à Toulouse, où une solution semble se dessiner, prouvent que le processus est au mieux long et complexe, mais qu’il peut aussi se révéler périlleux.

Autre défi de poids, l’évolution de leur modèle. Les grandes librairies ont à réinventer une organisation leur permettant d’être rentables alors même que leurs charges s’accroissent, que leurs zones d’influence, les centres-villes, se dévitalisent et que leur concurrence directe s’intensifie, les grandes surfaces culturelles étant engagées dans une conquête de territoire.

A tel point que Pierre Coursières, P-DG du Furet du nord, ne cache plus ses ambitions. Le candidat malheureux à la reprise de Sauramps rappelait ainsi dans nos colonnes (1) qu’il s’estimait "le mieux placé et le mieux organisé pour fédérer les grandes librairies de grandes villes", avec pour objectif de "développer des marques localement, tout en leur apportant une mutualisation des services support et des achats". C. Ch.

(1) Voir LH 1148 du 3.11.2017, p. 20-23.

L’installation de l’impression à la commande

Livres imprimés à la demande, système Copernics, Interforum.- Photo SYLVAIN LEURENT/INTERFORUM

Stade ultime de l’intégration de la fabrication numérique dans un flux d’expédition de livres, l’impression à la commande organisée par Interforum et son partenaire Epac est aussi simple dans son principe que complexe dans sa mise en place : la commande par un libraire d’un livre qui n’est pas en stock déclenche sa fabrication, et l’ouvrage est expédié dans le même carton que les autres volumes du bon de commande prélevés, eux, dans l’entrepôt voisin de la filiale diffusion-distribution d’Editis, à Malesherbes. Hachette Livre et son unité de fabrication Lightning Source, installée depuis 2010 dans le centre d’expédition de Maurepas, traite dans des colis différents les livres en stock et imprimés à la demande, mais les regroupe dans la même expédition.

Organiser ce système à une échelle industrielle dans un flux de dizaines de millions de commandes annuelles est un vrai défi, dont Interforum veut faire un avantage concurrentiel. En poussant au maximum les ressources de l’impression numérique, Copernics, ainsi que ce projet est baptisé, promet aux éditeurs une réduction de leur coût global d’impression et de frais de stockage, donc une diminution de leur risque et de leur besoin de trésorerie. Il faudra encore deux à trois ans pour en mesurer le résultat. Sans attendre, la distribution de Madrigall a mis en place un programme de courts tirages baptisé Thémis, en partenariat avec des imprimeurs. Hachette Livre annonce aussi d’autres développements. L’impression numérique n’a pas fini de transformer l’économie de la chaîne du livre. H. H.

La recomposition de l’édition

Approuvé sans condition en décembre par l’Autorité de la concurrence, le rachat de La Martinière par Média-Participations montre que subsistent des possibilités de rapprochements parmi les dix premiers groupes d’édition français, même si elles se raréfient.

En haut du classement Livres Hebdo de l’édition française, Albin Michel, Actes Sud et Michel Lafon, désormais aux 7e, 9e et 10e rangs, font partie de ces grandes maisons généralistes susceptibles d’être entraînées à leur tour dans un mouvement de concentration qui apparaît comme le seul ressort de croissance significatif sur un marché mature.

C’est bien ce qui a motivé Média-Participations, devenu le 3e groupe d’édition français. Il a été conçu dès l’origine pour ce genre de prise de contrôle, ainsi que l’indiquent son nom et son histoire. Il lui reste à mettre en œuvre l’opération la plus importante de toutes celles qu’il a réalisées jusqu’à présent, et la plus prometteuse puisqu’elle renforce sa diversification en l’implantant dans la littérature générale, qui manquait à son portefeuille, et lui ouvre les portes du marché anglophone avec Abrams, filiale américaine de La Martinière.

En diffusion-distribution, Interforum, filiale d’Editis, devra se montrer convaincant, c’est-à-dire faire mieux et moins cher que la propre filiale logistique de Média-Participations pour conserver La Martinière parmi ses clients.

La capacité d’investissement du groupe reste en tout cas intacte, la reprise étant financée par une augmentation de capital. Même les pertes du Seuil deviennent une ressource, sous forme de crédits d’impôt. H. H.

La mobilisation des auteurs

Manifestation de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse au salon de Montreuil le 2 décembre.- Photo OLIVIER DION

L’affaiblissement du niveau des ventes au titre, le régime de retraite obligatoire à partir de 2019 et le prélèvement de la CSG dont ils attendent les modalités de compensation ont ajouté à l’inquiétude d’auteurs de plus en plus fragilisés. 2017 a été animée par des débats et des manifestations d’Angoulême à Montreuil, soulignant les enjeux économiques et sociaux du métier.

Le Conseil permanent des écrivains (CPE), d’autres organisations d’auteurs (Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, Snac BD, SGDL) et le Syndicat national de l’édition (SNE) se sont rencontrés. Les premiers fruits de ces échanges devraient aboutir, au premier trimestre 2018, à une "matrice de reddition des comptes" composée d’une liste d’informations indispensables et d’un glossaire. Ils travaillent aussi à la transparence des chiffres figurant sur ces comptes et sont en quête d’"un outil qui permette aux auteurs de les vérifier", explique Valentine Goby, vice-présidente du CPE.

Parallèlement, le SNE et la Charte se penchent spécifiquement sur la situation des auteurs pour la jeunesse, dont les à-valoir et les pourcentages sont souvent inférieurs à ceux de la littérature adulte, "une discrimination en matière de rémunération inacceptable", juge Samantha Bailly, présidente de la Charte. Pour établir un état des lieux, auteurs et éditeurs tablent sur l’étude bisannuelle sur la rémunération des auteurs et les contrats menée par le Centre national du livre. De son côté, le CPE prépare des états généraux de la littérature centrés sur les questions économiques et juridiques. C. C.

La stagnation du livre numérique

En février prochain, l’estimation de GFK sur l’évolution du marché numérique en 2017 ne devrait pas révéler de progression plus spectaculaire que l’année précédente (+ 12 %). Et il est probable qu’il en sera de même en 2019. L’étude SGDL-SNE-Sofia sur la lecture numérique confirme chaque année ce développement paisible, qui satisfait les éditeurs et les libraires. Une croissance plus rapide ne créerait pas de marché, mais révélerait un effet de transfert au profit d’Amazon : c’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, à la faveur des prix cassés par le groupe américain qui s’est ainsi imposé.

Car dans le livre, la technologie numérique n’apporte pas encore de rupture déterminante par rapport au support physique, mais juste des avantages indéniables et quelques inconvénients regrettables. Le contrôle du prix évite cet effet de destruction de valeur pour les éditeurs et les libraires, sans étouffer toute perspective de vrai développement sur certains segments de marché, là où l’imprimé rencontre ses limites : relances de fonds de catalogues avec des promotions ponctuelles faciles à organiser, fluidité de diffusion pour les littératures de genre vite consommées, export lorsque les problèmes de droit et de technique seront résolus, accessibilité pour les lecteurs handicapés, lorsque les questions d’adaptation seront surmontées.

Via l’autoédition, le numérique a par ailleurs libéré une création inadaptée à l’édition traditionnelle, la part inconnue de ce marché, sous le contrôle presque absolu d’Amazon. H. H.

La gentrification de la librairie

Traditionnellement fréquentées par une population dotée d’un capital culturel important, tels les cadres supérieurs et les professions intermédiaires, les librairies de premier et de second niveau ont bénéficié à partir de la fin des années 1970 d’une diversification de leur clientèle, contribuant à l’émergence du modèle de la grande librairie généraliste, proposant de tout à tous. Une parenthèse en train de se refermer ?

L’accès toujours plus large à d’autres produits culturels, conjugué à un marché du livre tendu depuis une dizaine d’années, a en effet conduit de nombreuses libraires à se recentrer sur leur cœur de cible : implantation dans des quartiers en cours de gentrification, notamment à Paris ; assortiment davantage centré sur la littérature, les sciences humaines et la jeunesse, au détriment en particulier du rayon pratique ; élargissement de l’activité commerciale pure vers des pratiques d’ordre culturel ; mutation des lieux vers des espaces mixtes.

Cette évolution accrédite l’hypothèse d’une gentrification d’un pan croissant de la librairie française, confortée par la mutation du commerce en général, particulièrement dans les grandes villes. La librairie et avec elle le livre risquent-ils de se trouver confinés dans des secteurs géographiquement et socialement délimités, et de ne plus accéder qu’à une catégorie restreinte de la population ?

D’autres modèles émergent pour continuer à toucher le plus grand nombre. Mais de la librairie ambulante aux librairies en milieu rural, en passant par les concepts mixtes associant, par exemple, coiffure et vente de livres, ils restent encore marginaux. C. Ch.

Le chantier européen du droit d’auteur

Le Parlement européen, Bruxelles.- Photo OLIVIER DION

L’année 2018 sera-t-elle suffisante pour que l’Union européenne trouve un compromis sur sa proposition de directive sur le droit d’auteur ? Présentée comme un élément essentiel du grand projet de constitution d’un marché unique numérique annoncé en 2015, cette proposition de directive a immédiatement soulevé de grandes inquiétudes parmi les producteurs de contenus. Les éditeurs se sont vivement opposés à l’extension d’exceptions au droit d’auteur, sans parvenir à les contenir toutes.

L’objectif de cette vaste réforme est d’harmoniser le droit d’auteur pour en faciliter l’usage, le commerce et les échanges intra-européens. Les producteurs de droits craignent surtout que ces nouvelles dispositions donnent plus de pouvoir aux géants américains d’Internet, ou entraînent en réalité des pertes de revenus (exception pédagogique) et du contrôle de leurs contenus (exception bibliothèque, fouille de données, open access).

Le Conseil européen, instance représentant les Etats européens, n’a pas trouvé d’accord sur la responsabilité des plateformes Internet quant à la diffusion de contenus piratés. L’introduction d’un droit voisin pour la presse, qui serait enfin rémunérée pour la reprise de sa production, pose aussi problème. Au Parlement, la commission juridique, compétente au fond, a repoussé son vote à plusieurs reprises. Il est maintenant prévu fin janvier. A ce stade, les amendements soutenus par la France concernant la numérisation des indisponibles (projet Relire) n’ont pas été retenus. Il faudra ensuite trouver un accord entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens. H. H.

La fragilisation de la littérature

"La fiction littéraire est en crise." Le constat était clairement établi par Claire Armitstead dans une tribune du quotidien britannique The Guardian, le 15 décembre 2017. La rédactrice en chef culture relayait l’inquiétude d’un rapport du Arts Council England (ACE) qui pointait l’érosion des pratiques de lecture dans le domaine de la fiction littéraire, exception faite pour les littératures dites de genre, avec des ventes en baisse et des écrivains qui peinent de plus en plus à tirer quelques subsides de leurs livres. La conjoncture est semblable en France. En mars 2016, le rapport "La situation économique et sociale des auteurs du livre" demandé par le CNL pointait une fragilisation des auteurs et des traducteurs dans ce même registre. Cette précarisation remet en cause l’existence même de l’activité de création littéraire. Bouleversée par un nouvel environnement technologique, économique et culturel, la chaîne du livre doit accompagner cette profonde mutation en prenant conscience de la nécessité de protéger ce qui fait l’âme d’un pays. "La mort écrit, à sa manière, l’histoire de la littérature." Certes, Malraux avait raison. Mais pour cela, il faut que la littérature reste vivante. Dans l’entretien accordé à Livres Hebdo l’automne dernier, Françoise Nyssen appelait à "libérer les énergies" dans un pays où "l’appétit pour le livre est très fort". Mais pour éviter la déperdition de ces énergies, il importe de les canaliser et de les accompagner. Ce défi-là n’est pas le moindre. L. L.

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