3 janvier > Biographie - Essai France

On l’appelait « le grand Momo ». Rien pourtant ne semblait devoir, ni dans sa vie ni dans son comportement, vouer Eric Rohmer aux diminutifs familiers. Rien, si ce n’est peut-être le goût des bandes, des affinités électives, des « few », des « happy few », des « band of brothers »

Après François Truffaut (avec Serge Toubiana, Gallimard, 1997, repris en Folio) et Godard (Grasset, 2010, et Pluriel, 2011), Antoine de Baecque, flanqué cette fois d’un autre fieffé « ciné-fils », Noël Herpe (récemment auteur de deux très troublants et autobiographiques récits, Journal en ruines et Mes scènes primitives, Gallimard 2012 et 2013), se consacre donc à la biographie du plus secret des grands cinéastes issus de la nouvelle vague. La tâche tenait de la gageure car rien dans les quatre-vingt-neuf ans de vie de ce bon mari et père de famille, volontiers casanier, ayant hérité de la bourgeoisie catholique provinciale un sacro-saint dégoût pour le scandale et l’extraversion (pour ne rien dire de l’exhibition), ne paraissait donner matière à un vaste compte rendu. Et pourtant, il faut croire que, comme dans ses films, dans la vie aussi d’Eric Rohmer, né Maurice Schérer, les apparences étaient trompeuses, tant les 600 pages de ce qui apparaît comme un itinéraire intellectuel et comme un progressif dévoilement des mystères d’un homme et d’un artiste sont de bout en bout passionnantes.

Le cinéma a été pour Rohmer une passion de la maturité, des vendanges tardives (il eut alors pour lui la ferveur des nouveaux convertis). Avant cela, il y avait eu le charme discret d’une enfance et d’une jeunesse studieuse, à Tulle, puis Lyon, Clermont et finalement Paris. Il y avait eu (et il y aura toujours) la fréquentation des grands textes et le goût de la musique. Son frère cadet, le philosophe et militant homosexuel René Schérer, allait jusqu’à penser que son double échec à l’agrégation de lettres était cause de sa carrière de cinéaste… Pour le reste, Rohmer fut un curieux mélange, conservateur revendiqué, royaliste par inclination, catholique pratiquant, mais homme de dialogue et curieux de ce qui (l’art contemporain, la modernité dans toutes ses occurrences) lui apparaissait comme un défi intellectuel recevable. De Baecque et Herpe nous le montrent dans sa pluralité, dans son goût du secret et de la dissimulation (jamais « le côté de chez Maurice Schérer » ne se confondit avec celui « de chez Eric Rohmer ») comme condition nécessaire à l’exercice de son idéal classique de beauté. Il sera donc recommandé d’accompagner la lecture de cette somme magistrale de celle de Friponnes de porcelaine, recueil de nouvelles comme autant d’annonces de l’œuvre à venir. Et bien sûr de revoir la totalité des vingt-cinq films, enfin disponibles en un seul coffret DVD chez Potemkine. Il y a un temps pour tout et un temps pour le reste. Celui d’Eric Rohmer est enfin revenu.

Olivier Mony

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