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Dossier Rentrée jeunesse : même pas peur

Cavale de Stéphane Servant et Rébecca Dautremer, chez Didier Jeunesse. - Photo Didier Jeunesse

Dossier Rentrée jeunesse : même pas peur

Préoccupée par les menaces qui pèsent sur le monde, la littérature jeunesse oppose diverses résiliences qui ont pour nom amitié, humour ou art. Malgré la veine de la dystopie, le roman jeunesse garde espoir, et souvent même se marre. A l’abri de leurs jeunes années, les plus petits, eux, s’enchanteront d’albums de plus en plus poétiques.

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Par Fabienne Jacob,
Créé le 08.09.2017 à 09h22

Comme son aînée, la rentrée jeunesse sera jalonnée de moments forts, liés à de grands noms de la littérature. Ainsi, la parution chez Gallimard Jeunesse du nouveau Philip Pullman, le tome 1 de La trilogie de la poussière, fera sans doute aussi grand bruit que sa précédente série, A lacroisée des mondes. Autre événement chez le même éditeur, le premier pas en littérature jeunesse de la grande dame des lettres italiennes, Elena Ferrante. Flammarion Jeunesse, de son côté, mise beaucoup sur L’ombre du Golem dont la sortie est attendue le 27 septembre. Eliette Abécassis signe ici son premier roman jeunesse. Illustrée par Benjamin Lacombe, la légende du Golem est vue à travers le regard d’une petite fille. Gageons que les sujets abordés, tolérance et dépendance à la technologie, résonneront à nos consciences contemporaines. A signaler aussi la santé, toujours au beau fixe, des séries. Chez Rageot, c’est le 10e tome de Ma vie selon moi de Sylvaine Jaoui et Colonel Moutarde qui arrive dans les bacs, tandis qu’à L’Ecole des loisirs la série Chien Pourri (de Colas Gutman et Marc Boutavant) cartonne toujours et se développe cet automne avec Chien Pourri fait du ski. Chez Gallimard Jeunesse, la tétralogie Shikanoko de Lian Hearn poursuit sa percée avec un livre 3, tandis que chez Gulf Stream éditeur, la série L’éveil de Jean-Baptiste de Panafieu se clôt. Ce dernièr volume traite des droits des animaux et de la conscience animale, thème exploré aussi par Jean-Baptiste del Amo, qui publie pour la première fois pour la jeunesse, avec l’album Comme toi (Gallimard Jeunesse). Nathan, lui, mise gros sur la parution du premier tome de la trilogie de science-fiction Gary Cook, dont les auteurs Romain Quirot et Antoine Jaunin ont réalisé une bande-annonce spectaculaire. Ce Gary Cook, que Nathan situe "entre Miyazaki et Mad Max", campe un monde recouvert par les flots, où la seule chance de survie est d’embarquer à bord de gigantesques navettes spatiales. Une trilogie qui illustre bien le genre de la dystopie, toujours en état de grâce.

Nos vacances de BlexBolex, chez Albin Michel Jeunesse. - Photo ALBIN MICHEL JEUNESSE

Dystopie, quand tu nous tiens.

Presque tous les éditeurs de littérature jeunesse s’adonnent aujourd’hui à ce genre, même celles réputées plus littéraires, comme Actes Sud Junior ou le Rouergue Jeunesse. Un schéma narratif invariable : dans un monde en phase terminale de dévastation - épuisement des ressources, surpopulation, toxicité de l’air -, un groupe d’adolescents veut sauver sa peau. Dans Sirius de Stéphane Servant (Rouergue Jeunesse), roman à la sombre beauté apocalyptique, une jeune fille et un petit garçon tentent de survivre dans un monde à bout de souffle. Une rencontre va tout bouleverser, celle de Sirius, un porcelet qui est peut-être le dernier animal vivant. L’atmosphère est tout aussi irrespirable dans La sublime communauté d’Emmanuelle Han (Actes Sud Junior), dont le premier tome, Lesaffamés, paraît en octobre. Les migrants y sont de plus en plus nombreux et inquiétants. Comment ne pas penser à notre propre futur ? Dans le monde que nous promet Yves Grevet dans Grupp, qui arrive chez Syros, on ne meurt plus de maladie grâce à l’implant Longlife, mais l’organisation secrète Grupp, proche de nos actuels lanceurs d’alerte, lutte pour un pouvoir reconquis sur soi-même. Grosse angoisse aussi chez Casterman, qui publie ReMade d’Alex Scarrow où des virus sont capables de se transformer en animaux, et bientôt peut-être en êtres humains. Chez Milan, les univers de Sombres étoiles de Malorie Blackman campent un XXIIe siècle où la guerre des clans fait rage. Chez Magnard Jeunesse, la série Titania de Pauline Pucciano, thriller futuriste saisissant, s’étoffe de deux nouveaux tomes cet automne. Dans le Paris du XXIIe siècle ultralibéral, une icône des réseaux sociaux entre en dissidence. Et quand le roman ado revient ici et maintenant, l’atmosphère est plus sereine, mais pour autant les questions ne manquent pas. En premier lieu, celle de l’identité dans la famille et dans le groupe.

Trouver sa place

Comme tous les ans, de nombreux titres sondent cette problématique propre à l’adolescence. Dans le beau Cinq centièmes de seconde de Lois Lowry (Casterman), Meg la terne a bien du mal à exister auprès de sa sœur solaire. De même, comme son titre l’indique, La petite dernière de Susie Morgenstern (Nathan) met en scène la plus jeune parmi trois sœurs, qui tente de se frayer un chemin existentiel entre une sœur jolie et une autre, drôle. Dans A quoi tu ressembles ? de Magali Wiéner (Rouergue Jeunesse), douze adolescents témoignent à tour de rôle de quelque chose de fort, le corps qui change, l’avenir, le père qu’on voudrait ne pas avoir, etc. Trouver sa place s’avère encore plus ardu quand on est différent. Ou pire, quand on est malade. Ainsi, dans L’histoire d’un garçon qui voulait vivre dans un bocal de Lisa Thompson (PKJ), Matthew (10 + 3 ans, impossible de dire 13 car cela porte malheur, pense-t-il) porte des gants en latex, ne mange que des plateaux-repas sous cellophane et vit reclus dans sa chambre jusqu’au jour où il mène une enquête sur la disparition d’un petit garçon. On peut légitimement se sentir différent quand on a été victime d’un adulte, comme dans La camionnette blanche de Sophie Knapp (Petit à Petit) qui aborde avec pudeur le sujet banni de l’exhibitionnisme. Autres sujets tabous en littérature jeunesse, les années Sida et le combat d’Act up dont traite D’un trait de fusain de Cathy Ytak (Talents hauts). Différent, on peut aussi l’être sans le savoir… Ainsi, dans L’aube sera grandiose, roman d’une tension extrême signé d’Anne-Laure Bondoux (Gallimard Jeunesse), une jeune fille apprend qu’elle est la petite-fille d’un terroriste italien.

Puisque c’est ça, je pars ! d’Yvan Pommaux, à L’Ecole des loisirs.- Photo L’ÉCOLE DES LOISIRS

La question de l’identité peut être traitée avec humour. Comme le fait Emilie Chazerand chez Sarbacane, qui dans son roman hilarant La fourmi rouge campe une jeune Vania Strudel dont "l’œil part en vrille et la vie à peu près dans la même direction", mais qui tente de contrer l’adversité à coups d’autodérision. La préadolescence est un passage difficile, où l’on voudrait toujours être et faire comme les autres et être adoubé par le groupe. Tom, le héros du Club des parents trop bizarres de Clémence Lallemand chez Rageot, en sait quelque chose, lui qui désespère de ne jamais faire partie de ce club prestigieux. Ses parents à lui sont tristement normaux, alors que ceux de ses amis sont dingos : l’un des pères dort avec un slip sur la tête, tandis qu’un autre se couche toujours en rejouant la scène du Titanic ! De même, Ma vie de bolosse de Dominique Souton (L’Ecole des loisirs) explore la délicate entrée au collège quand on n’est pas franchement populaire.

L’album jeunesse ne croit plus au père Noël

Dans tes yeux de Philippe Jalbert, chez Gautier-Languereau. - Photo GAUTIER-LANGUEREAU

Dans l’album jeunesse, la tendance au "dézingage" des contes de fées a toujours le vent en poupe. Publié chez Talents hauts, Cendrillon et la pantoufle velue (Davide Cali et Raphaëlle Barbanègre) campe une Cendrillon dont le carrosse est un navet et la robe un habit affreux. De même, après l’amusant Petit Chaperon belge en 2016, l’éditeur Marcel & Joachim récidive en revisitant le célèbre conte Barbe bleue à la sauce québécoise dans le livre-CD Barbe Blue le maudit Québécois de Camille de Cussac. Si dans une histoire tout est question de point de vue, pourquoi ne pas donner pour une fois celui du loup plutôt que celui, sempiternel, du Petit Chaperon rouge ? C’est le pari audacieux du très beau Dans tes yeux de Philippe Jalbert (Gautier-Languereau). Le livre-CD Alice & merveilles chez Didier Jeunesse, illustré par Clémence Pollet, propose quant à lui une relecture contemporaine, espiègle et énergique du roman de Lewis Caroll.

Colorama de Cruschiform, chez Gallimard Jeunesse-Giboulées. - Photo GALLIMARD JEUNESSE-GIBOULÉES

L’album jeunesse semble de moins en moins manichéen. Ainsi, chez Glénat Jeunesse, on se fait l’avocat des méchants des contes de fées dans Même les méchants ont des secrets (Ilan Brenman et Magali Le Huche) et, à l’inverse, Seuil Jeunesse suspecte les bons de ne pas être aussi bons qu’on veut bien le dire. En effet, l’étonnant A l’intérieur des gentils (pas si gentils) de Clotilde Perrin sonde l’envers du décor des célèbres personnages de gentils des contes, dévoilant toute la panoplie de ruses, de stratagèmes que le gentil dissimule en lui. Quant au père Noël, lui non plus n’est plus ce qu’il était. Dans Lettres timbrées au père Noël (Elisabeth Brami et Estelle Billon-Spagnol), on découvre un ours qui perd ses poils, une poupée qui fait peur, etc. En revanche, l’éditeur Gulf Stream doit encore croire au père Noël puisque, pour la première fois, il se lance dans l’édition d’albums de Noël avec un premier titre Où est le renne au nez rouge ? de Sophie Adriansen et Marta Orzel. Thierry Magnier va également faire paraître un calendrier de l’avent version album, confié au talent d’Emmanuelle Houdart (La parade de Noël). Autre déboulonnage d’une figure mythique de l’enfance, celui de la sacro-sainte princesse. Celle de Tu seras ma princesse (Marcus Malte et Régis Lejonc) chez Sarbacane porte des lunettes. On aura tout vu !

Barbe Blue, le maudit Québécois de Camille de Cussac, chez Marcel & Joachim) - Photo MARCEL & JOACHIM

S’en fout la peur

Si l’enfance est le terreau des grandes naïvetés, c’est aussi celui des grandes peurs. Glénat Jeunesse les ratatine en règle. La désopilante série à succès "Comment ratatiner…" continue sa percée avec un nouveau titre Comment ratatiner les idées noires (Catherine Leblanc et Roland Garrigue). Son optimisme, cet éditeur l’affiche aussi dans la série Sam & Watson, inspirée du feel-good book, et qui s’agrandit d’un nouveau titre, Comme des grands ! (Ghislaine Dulier et Bérangère Delaporte). Dans l’album jeunesse, le rire est l’arme par excellence contre les peurs et les contrariétés. Humour et bonne humeur à tous les étages dans l’irrésistible Les jours pairs chez Hélium (Vincent Cuvellier et Thomas Baas) qui propose "179 histoires à lire avec qui on veut" à partir de 5 ans. Toujours chez Hélium, Carole Fives carbure elle aussi à l’humour et renverse la vapeur en se demandant, avec Séverine Assous, Comment faire garder ses parents ?. Aux éditions Les Fourmis rouges, La tribu qui pue (Elise Gravel et Magali Le Huche) est une ode foutraque à la liberté des corps et des esprits. On rit de tout et parfois du trivial, comme de l’invasion de poux (Rick Pou et les poux migrateurs de Laurent Cardon (aux éditions Père Fouettard). Au Seuil Jeunesse, Gilles Bachelet imagine Une histoired’amour entre deux gants Mapa, comme quoi tout peut arriver ! Même les fables écologiques puisent dans la veine comique. Dans Ça me gratte la Terre ! (Seuil Jeunesse), Olivier Costes et Camille de Cussac imaginent une planète Terre très peu présentable, sale et qui se gratte, le jour du concours de la plus belle planète organisé par Cosmos. Question poilade, nos amies les bêtes ne sont pas en rade. Dans le savoureux La retraite de Nénette, Claire Lebourg (L’Ecole des loisirs) imagine l’orang-outan Nénette, star du jardin des Plantes, rangée des vélos et se la coulant douce dans une vie désormais très parisienne, shopping et tout et tout, ce qui ne l’empêche pas d’avoir ici ou là un petit coup de blues.

De la poésie avant toute chose

La poésie est un ingrédient majeur de l’album. Ainsi l’insolite La graine de carotte (Ruth Krauss et Crockett Johnson) à paraître chez l’inventif éditeur Memo, qui reprend dans sa collection "Grandes rééditions" quelques chefs-d’œuvre de l’édition jeunesse mondiale. Un petit garçon plante une graine de carotte dont tout son entourage lui prédit qu’elle ne produira jamais rien, jusqu’au jour où… Un bijou de minimalisme. Ténu également, le minuscule motif qui fait tourner les pages de l’album de Juliette Binet Le mauvais pli (Rouergue), dans lequel un promeneur et son chien sont en butte à un pli capricieux. Fourmillante et très chargée est en revanche l’illustration de Merveilleuse nature : un fabuleux cherche et trouve (Nathalie Béreau et Michaël Cailloux) chez Thierry Magnier, où l’enfant est invité à retrouver objets et animaux dans un fouillis d’animaux, formes, objets, fleurs qui se croisent et s’entrecroisent. De son côté, Retrouve-moi ! d’Anthony Browne (Kaléidoscope) convie lui aussi l’enfant à chercher des surprises dissimulées lors d’une partie de cache-cache dans une forêt mystérieuse et poétique. L’enfant aime se cacher, mais il aime plus encore être retrouvé.

Albums : nos 10 chouchous

En peu de mots d’Isol, chez Syros. - Photo SYROS

En peu de mots d’Isol (Syros). Un abécédaire insolite, poétique et profond pour explorer les émotions. Exemple, à la lettre A, un petit garçon tient un oiseau blessé dans la main et dit sobrement : "Ça arrive, tu sais." Signé de la talentueuse artiste argentine Isol, lauréate de grands prix d’illustration internationaux.

Colorama de Cruschiform (Gallimard Jeunesse-Giboulées). Cet imagier rend hommage à toutes les nuances de couleurs et ne décline pas le blanc, le rose ou le jaune, mais la fleur de coton, l’albinos, la fleur de sakura, la barbe à papa ou le Caterpilar. Une légende permet de savoir d’où vient l’indigo ou le carmin, ou pourquoi les évêques portent du violet. Pour les mirettes et pour l’imaginaire.

Dans tes yeux de Philippe Jalbert (Gautier-Languereau). L’histoire du Petit Chaperon rouge comme on ne l’a jamais lue, vue par le loup sur la page de gauche et par le Petit Chaperon rouge sur la page de droite. Un face-à-face puissant et une idée originale explorés par le remarquable travail de gravure de l’auteur.

Nos vacances de BlexBolex (Albin Michel Jeunesse). Une petite fille en vacances chez son grand-père doit tout partager avec un hôte éléphanteau qu’elle juge lourdaud. Dans ce chef-d’œuvre, aucune parole, seules les images remarquables racontent l’histoire.

Cavale de Stéphane Servant et Rébecca Dautremer (Didier Jeunesse). Cavale court tout le temps et ne craint rien sauf Fin, qui un jour le rattrapera. Deux grands noms de la littérature jeunesse s’associent pour livrer un beau conte philosophique sur le temps qui passe, l’amour et la mort.

Même les méchants ont des secrets d’Ilan Brenman et Magali Le Huche, chez Glénat Jeunesse. - Photo GLÉNAT

Même les méchants ont des secrets d’Ilan Brenman et Magali Le Huche (Glénat Jeunesse). Après l’album à succès Même les princesses pètent, cette nouvelle histoire savoureuse trouve des circonstances atténuantes aux agissements de trois célèbres méchants de la littérature jeunesse : la sorcière de Hansel et Gretel, l’ogre de Jack et le haricot magique et la sorcière de Raiponce. Hilarant.

Tu seras ma princesse de Marcus Malte et Régis Lejonc, chez Sarbacane. - Photo SARBACANE

Tu seras ma princesse de Marcus Malte et Régis Lejonc (Sarbacane). Une voix égrène tous les beaux moments que le locuteur vivra avec sa princesse charmante. Une sacrée jolie déclaration d’amour d’un papa à sa princesse de fille.

Barbe Blue, le maudit Québécois de Camille de Cussac (Marcel & Joachim). Un album-CD pour lire et entendre le célèbre conte en québécois dans le texte. La blonde de Barbe Blue n’est tout de même pas chanceuse d’avoir rencontré ce t’cheum-là, qui se met en tabarnouche dès qu’elle s’avise d’entrer dans le petit cabinet. Du fun !

La grande expédition de Clémence Dupont, chez L’Agrume. - Photo L’AGRUME

La grande expédition de Clémence Dupont (L’Agrume). Ce livre-accordéon spectaculaire déploie sur près de 4 mètres sa fresque chronologique pour raconter l’évolution de la Terre et du vivant sur quatre milliards d’années. Le cambrien et le jurassique à portée de main !

Puisque c’est ça, je pars d’Yvan Pommaux (L’Ecole des loisirs). Ras-le-bol de ces mamans qui ne parlent plus qu’à leur portable. Norma se fait la malle dans le jardin public. Où vont les enfants quand ils partent ? Dans des pays merveilleux qui n’existent que pour eux, bien sûr.

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