Sur la couverture d’Un monde avant de Claude Eveno, une reproduction d’Annibale, un portrait du XVIe siècle attribué à Carracci après l’avoir été au Corrège, et en haut, à gauche… un flashcode. L’auteur et son éditrice, Dominique Bourgois, complice enthousiaste de cette première éditoriale, disent s’être beaucoup amusés à imaginer cet essai à la forme inédite : une encyclopédie personnelle de la peinture qui se prolonge sur un site où le lecteur peut accéder aux reproductions des tableaux. Un vaste musée virtuel, accessible de n’importe où, à n’importe quel moment avec un smartphone. «Une tentative deréaliser l’alliance du numérique et du papier», observe le «commissaire» de l’exposition. Tout en proposant un chemin singulier à travers un patrimoine pictural universel, le livre met à disposition des centaines d’images scannées pour accompagner celui qui précise n’être ni collectionneur, ni historien de l’art dans ses «voyages intérieurs dans la peinture», dans ce monde figuratif qui a été sa première formation. Né en 1945 et appartenant à une génération «agitée par l’esprit de révolte», Claude Eveno se souvient que ses «compagnons de route ont souvent été des tableaux».

A l’origine, il avait un autre projet en tête : sélectionner dans l’iconothèque riche de 80 000 reproductions accumulées dans son ordinateur mille peintures de mille peintres et les accompagner de mille textes. Mais une fois ce premier tri réalisé, l’idée a évolué pour devenir un exercice d’autoportrait en compagnie des peintres, révélant à la fois l’individualité d’un parcours et proposant en même temps une navigation intime dans une culture commune, politique, esthétique, générationnelle, un cheminement possible dans le continuum d’images qu’Internet rend disponibles. Comme il l’écrit en préambule, il voit dans cette expérience «une chance de réinvention, d’élargissement de la fabrique d’une communauté d’images», selon l’expression empruntée à Jean-Christophe Bailly.

Car «homme d’images» est bien ce qui définit un axe dans la trajectoire butineuse de cet urbaniste, spécialiste du paysage, qui fut aussi, et entre autres fonctions, éditeur pour le Centre Pompidou, conseiller pour la programmation à France Culture, enseignant, après avoir débuté dans les années 1970 dans le cinéma documentaire et réalisé une vingtaine de courts- et moyens-métrages. Claude Eveno a ainsi avancé dans sa vie professionnelle à la faveur d’opportunités se présentant sans sollicitation. Chaque fois guidé par cette seule question : «Qu’est-ce que je peux faire pour ne pas m’ennuyer , mais avec l’ambition de «faire les choses avec plus d’intensité que ce qu’on me demandait» et «en essayant de penser ce que je faisais». «C’était très années 60, ce besoin de théorisation», commente-t-il avec une ironie toujours un peu mélancolique.

 

 

Parisien et breton

Mais ce temps est passé et Un monde avant n’est pas un essai théorique : texte et ordre d’apparition des tableaux, organisés autour de quatre thèmes (religion, histoire, nature, peuple), «quatre principaux champs d’interrogation», évoquent des choses très constitutives comme sa double inscription originaire, parisienne et bretonne, le Morbihan des vacances de son enfance dans une famille de chasseurs et de bouchers. «Il n’y a pas d’objectivité dans ce regard», assume l’auteur d’Histoires d’espaces (Sens & Tonka, 2011) et d’un seul récit de fiction, Sur la lande, dans la collection «Haute enfance» (Gallimard, 2005) où le héros est «habité par un paysage d’enfance». Celui qui se dit depuis toujours «tiré à hue et à dia entre les images et les mots» commençait chaque rentrée scolaire par lire aux nouveaux étudiants de l’Ecole nationale supérieure de la nature et du paysage à Blois, où il a enseigné l’histoire des jardins pendant treize ans, un extrait d’Enfance de Nathalie Sarraute, «une merveille de traduction par les mots de la chose regardée», qu’il cite dans Un monde avant.

 

Dans ce livre rempli de corps et de visages, dont le premier des six cents tableaux convoqués est Saint François prêchant aux oiseaux de Giotto, apparaît le nom d’un seul artiste non figuratif : Rothko. Le peintre qui peut faire «parfois se précipiter hors de chez soi» en quête d’une œuvre réelle à admirer, et que Claude Eveno ne se lasse pas d’avoir sous les yeux depuis dix ans sur son fond d’écran.

Véronique Rossignol

Un monde avant. Voyages intérieurs dans la peinture, Claude Eveno, Christian Bourgois, ISBN : 978-2-267-02572-9, 19 euros. Sortie : 7 novembre.

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