22 août > Roman Afrique du Sud

Un homme accompagné d’un petit garçon débarque au camp de Belstar. Il a rencontré le petit sur le bateau : l’enfant avait le nom de sa mère dans une lettre qu’il portait à son cou, la ficelle a cédé et l’identité du parent s’est perdue. Simón va aider David à retrouver sa maman. A Novilla, on parle l’espagnol, les réfugiés sont appelés « recien llegados », « nouveaux arrivants ». Une fois arrivé dans ce pays, on doit faire table rase du passé, les souvenirs de sa vie d’avant doivent être effacés, jusqu’à sa date de naissance : Simón a désormais 45 ans, et David 5 ans. Une certaine Ana qui les accueille ne peut pas ouvrir la porte du logement qui leur est attribué, c’est señora Weiss, la responsable du centre d’hébergement, qui est en possession de la clé. S’il trouve tout de suite un emploi de docker malgré son âge (les autres, plus jeunes, le surnomme « el viejo », « le vieux »), Simón se rend aussi très vite compte que, sous un jour bienveillant, cette terre d’immigration est régie par une bureaucratie kafkaïenne. Dans l’utopie socialisante, tout est gratuit ou très peu cher, mais pas grand-chose à partager. Lui et son protégé mangent du pain et de l’eau, comme le reste de la population. Pour la viande, il n’y a qu’à attraper les rats, dit le contremaître Alvaro. Simón ironise : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. » A quoi répond sans plaisanter le chef des déchargements de grain : « Ce n’est pas un monde possible, c’est le seul monde. Que cela en fasse le meilleur, ce n’est ni à toi ni à moi d’en décider. » Du moment qu’on ne meurt pas d’inanition, on n’a pas faim. A Novilla, on nie la faim car on nie le désir. De cet autre aspect des choses, Simón va s’apercevoir lors d’un pique-nique fort chiche (crackers et pâte de haricot) organisé par Ana du Centre pour réfugiés. Il se dispute avec elle. Quand il lui suggère qu’il l’étreigne, lui expliquant que loin d’être une insulte cet acte est un hommage rendu à sa beauté. Cette dernière s’offusque : « Vous voulez vous emparer de moi et enfoncer une partie de votre corps en moi. Un hommage, prétendez-vous. Je suis ahurie. A mes yeux, toute cette histoire est absurde - il est absurde pour vous de vous livrer à l’opération et pour moi de l’autoriser. »

De son tout premier livre, Terre de crépuscule (1974), diptyque sur la guerre du Vietnam et l’émigration des Boers au XVIIIe siècle, à ses autobiographies fictives plus tardives, Vers l’âge d’homme (2002) ou L’été de la vie (2010) en passant par Disgrâce qui lui valut son deuxième Booker Prize en 1999, J. M. Coetzee a renouvelé chaque fois sa technique narrative. Puisant dans le concret de l’existence - notamment l’apartheid -, le Nobel de littérature 2003 pratique cependant un réalisme singulier, où l’inquiétante opacité du réel frise le symbolisme. En plus d’une réflexion sur un égalitarisme où seraient abolis les rapports de forces du désir, Une enfance de Jésus, avec ce petit garçon aussi précoce que le protagoniste de Michael K., sa vie, son temps était simplet, est une interrogation sur ce que serait une vie dépouillée du lien biologique de filiation. S. J. R.

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