Avant-critique bande dessinée

Fabien Vehlmann, Roger, "Le Dieu-Fauve" (Dargaud)

Le Dieu-Fauve - Photo © Fabien Vehlmann et Roger/Dargaud

Fabien Vehlmann, Roger, "Le Dieu-Fauve" (Dargaud)

Dans une Afrique antique imaginaire, Fabien Vehlmann et Roger mettent en scène un primate transformé en tueur dont le destin éclaire la mortifère quête de domination des hommes.

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Par Benjamin Roure
Créé le 13.04.2024 à 11h00

Un singe en enfer. En scénariste aguerri mais jamais rassasié, Fabien Vehlmann refuse le ronronnement et la facilité. Qu'il s'empare de Spirou et Fantasio avec Yoann, qu'il imagine des contes funèbres avec les Kerascoët (Satanie, Soleil, 2016 ; Jolies ténèbres, Dupuis, 2009...) ou qu'il s'attaque à la guerre d'Algérie à travers un feuilleton de SF vertigineux (Le dernier Atlas, Dupuis, 2019-2021), l'auteur cherche toujours le meilleur cadre pour interroger les tourments de l'âme humaine et décrypter les mécanismes de domination ravageurs chez les descendants d'Homo sapiens. C'est à nouveau le cas avec Le Dieu-Fauve, une véritable tragédie en quatre actes. Un opéra graphique même, tant l'ampleur de sa narration et la profondeur de ses thèmes lui confèrent une dimension universelle et intemporelle.

Acte I : dans une jungle malade, un jeune singe aspire à devenir le meilleur chasseur de son clan, mais n'en aura pas le temps. Acte II : un poète esclave, garant de la mémoire d'un peuple inspiré d'antiques tribus africaines, sera victime de sa foi en son prochain. Acte III : une terrible guerrière pense pouvoir se sauver dans une spirale de massacres. Acte IV : celle que personne n'attendait imagine renverser l'ordre établi, mais elle ne sera que la première graine d'une hypothétique révolution. À chaque fois, au fil d'un scénario savamment construit, porté par une voix off jamais étouffante, c'est le goût du sang qui prédomine. Une fatalité qui fait dire à l'aède clairvoyant : « Écrire quoi ? Et pour qui, dès lors qu'on sait qu'il ne restera rien ? »

Doit-on y voir la voix d'un auteur conscient de la futilité de l'art dans une planète qui se meurt ? Peut-être. Mais on peut aussi y déceler le goût du paradoxe et de la provocation du scénariste, qui cherche souvent à interpeller ses lecteurs, qui devront creuser pour trouver où réside un semblant d'espoir dans ce nouveau récit sombre. La lumière, artistique du moins, vient du somptueux travail réalisé par le dessinateur espagnol Roger. Dans un style plus dense et mois anguleux que sa série Jazz Maynard, il offre des séquences de combat impressionnantes et des moments intimes touchants, au crépuscule ou à la lueur d'un feu de camp. De quoi réchauffer les cœurs meurtris ou tisonner les plaies béantes laissées par la lecture d'un album aussi puissant que complexe.

Fabien Vehlmann, Roger
Le Dieu-Fauve
Dargaud
Tirage: 16 000 ex.
Prix: 21,50 € ; 112 p.
ISBN: 9782505085645

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