Avant-critique Essai

Fanny Bugnon, "L'élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972)" (Seuil)

Fanny Bugnon - Photo © Jérôme Panconi

Fanny Bugnon, "L'élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972)" (Seuil)

Fanny Bugnon évoque l'une des premières femmes élues en France, en 1925, une Bretonne au cœur vaillant nommée Joséphine Pencalet.

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Par Laurent Lemire
Créé le 12.05.2024 à 11h00

Osez Joséphine ! Ce livre n'est pas qu'une biographie. C'est aussi une étude sur l'invisibilité en histoire. Surtout quand on est une femme, ouvrière, et que le temps a laissé si peu de traces d'une « vie minuscule » pour reprendre l'expression de Pierre Michon. Et pourtant, Joséphine Pencalet (1886-1972) n'est pas une inconnue, à la différence de Louis-François Pinagot, le sabotier analphabète retrouvé par Alain Corbin en 1998. Des rues portent son nom en Bretagne. Mais on a sans doute oublié pourquoi, comme on a oublié ce qui a tout déclenché.

On les appelait les Penn sardin, littéralement les « têtes de sardines », ces sardinières entêtées de Douarnenez. Dans Une belle grève de femmes (Libertalia, 2023), Anne Crignon a raconté leur combat, qui s'est déroulé en 1924. De ce bras de fer de six semaines que tout le pays a suivi comme la « grève de la misère » − car la pauvreté réclamait chaque jour de reprendre le travail plutôt que de continuer la lutte −, une femme est sortie du lot. C'est à elle que Fanny Bugnon consacre cette étude. Joséphine Pencalet a toujours été rebelle, on le voit sur une photo lorsqu'elle avait 20 ans, le regard lucide et déterminé. Fille d'une famille nombreuse de marins pêcheurs de Douarnenez, elle se marie sans le consentement de ses parents en 1908 avec un cheminot et s'installe dans la région parisienne, à Argenteuil. On ne sait rien des quinze années qui s'écoulent jusqu'à la mort de son mari de la fièvre typhoïde en 1923. Veuve, elle revient avec ses deux enfants au pays et trouve un travail comme ouvrière dans une conserverie, la grande industrie locale. Le travail est dur, entre dix et quatorze heures d'affilée, les salaires misérables. D'où cette révolte de quelque deux mille ouvrières des vingt conserveries qui s'achève, entre autres, sur un tarif horaire de 1 franc pour les femmes et 1,50 franc pour les hommes. L'engagement de Joséphine commence là. Elle est seule au milieu de vingt-six candidats sur la liste du parti communiste aux élections municipales de 1925. Le « Votez Joséphine » connaît un beau succès. Mais à peine élue, comme dix autres femmes en France, la préfecture du Finistère invalide cette élection. Le Conseil d'État confirme l'annulation, comme pour les autres candidates, les femmes n'étant alors ni électrices ni éligibles. Joséphine Pencalet a 39 ans. Elle disparaît de la scène politique et retourne à l'usine et au silence.

Maîtresse de conférences en histoire contemporaine et études sur le genre à l'université de Rennes 2, Fanny Bugnon redonne chair à une ombre. Elle évoque aussi la condition de ces « filles de friture » et le rôle ambigu du parti communiste. Son travail de recherche s'inscrit dans la mouvance de l'herstory - détournement du mot anglais history avec le pronom possessif féminin her - pour rendre visible les femmes d'hier. Mais il évite le piège de la relecture du passé à l'aune des enjeux contemporains, notamment sur l'émancipation féminine et la résistance bretonne. Dans ce destin, il est surtout question de courage et de dignité.

Fanny Bugnon
L’élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972)
Seuil
Tirage: 4000 ex.
Prix: 23 € ; 288 p.
ISBN: 9782021563221

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