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Fin de l'histoire pour Alain Decaux

Alain Decaux

Fin de l'histoire pour Alain Decaux

Auteur de près de 50 livres et biographies, d'une dizaine de pièces de théâtre, de milliers d'articles, Alain Decaux a raconté l'Histoire comme personne à travers ses émissions de radio et de télévision. Il est mort à l'âge de 90 ans.

Par Vincy Thomas,
avec afp Créé le 28.03.2016 à 00h13

Conteur inoubliable, Alain Decaux, qui a incarné pendant près de 50 ans l'histoire à la radio et à la télévision, est décédé dimanche à l'Hôpital Georges-Pompidou à Paris, à l'âge de 90 ans, a annoncé à l'AFP son épouse, Micheline Pelletier-Decaux.

Élu à l'Académie française en 1979 (symboliquement, cet homme de l'audiovisuel a reçu son épée d'académicien dans le grand amphithéâtre de Radio France), ministre de la Francophonie du gouvernement Rocard de 1988 à 1991, il fut à la fois un écrivain renommé et un vulgarisateur de l'Histoire dont plusieurs émissions radiophoniques et télévisuelles sont restées cultes après avoir connu des records d’audience. Alain Decaux a été en 1973 le premier président, élu au titre de la télévision, de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). En 1989, il a été nommé coordonnateur de la politique télévisuelle extérieure française. Depuis 1999, il existe un prix Alain Decaux de la francophonie. Il a été élevé en 2014 à la dignité de Grand Croix de la Légion d'honneur.

Un homme multimédia
 
En 1951, il crée "La tribune de l'histoire" à la radio (diffusée de 1951 à 1997). En 1956, c'est le tour de la télévision avec "La caméra explore le temps" (avec Stellio Lorenzi et son complice André Castelot), qui ne s'arrêtera que dix ans plus tard. L’impact de certaines émissions a été si important qu’elles ont contribué à de véritables « modes » et même à la renaissance de certains mouvements comme l’occitan après la diffusion de Cathares en 1966. L’émission s’arrête sous la pression politique : le gouvernement gaulliste supporte mal le réalisateur Stellio lorenzi, qui ose être communiste. Il faut donc attendre la démission du Général, en 1969 pour que Decaux revienne sur le petit écran. Jusqu’en 1987, "Alain Decaux raconte", décliné en livres en 4 volumes, puis "Alain Decaux face à l'histoire" et "Le dossier Alain Decaux" occupent le petit écran chaque mois pendant une heure, traitant d'un personnage ou d'un événement historique.

Né le 23 juillet 1925 à Lille, ce fils d'avocat a étudié le droit à Paris et suivi des cours d'histoire à la Sorbonne. Il n’a aucun diplôme. Il publie son premier livre grâce à Sacha Guitry, Louis XVII retrouvé, en 1947 et est couronné par l'Académie française, trois ans plus tard, pour son second ouvrage, Letizia. Toute son œuvre paraît chez Perrin et Plon.

Une œuvre prolifique

En 1960, il fonde la revue Histoire pour tous, et va collaborer à de nombreux journaux et revues pour lesquels il écrira des centaines d’articles. Dialoguiste du film Les misérables (1982), avec Lino Ventura, de Robert Hossein, avec qui il aura une intense collaboration artistique s'étalant sur plusieurs décennies, il est aussi biographe de Victor Hugo (1984), un admirateur d'Alexandre Dumas, qu’il accueille au Panthéon en 2002 et à qui il consacre en 2010 un Dictionnaire amoureux, et de Sacha Guitry, dont il était l'ami intime.

On lui doit aussi C'était le XXe siècle (en quatre volumes), Histoire des Françaises (en 2 volumes), Alain Decaux raconte la Révolution française aux enfants et Alain Decaux raconte Jésus aux enfants, Offenbach, roi du Second Empire, De l’Atlantide à Mayerling, Le prince impérial, cet autre Aiglon ou encore L’Enigme Anastasia. Après son passage au pouvoir exécutif, il écrit Le Tapis rouge, sur son expérience ministérielle, mais aussi Morts pour Vichy : Darlan, Pucheu, Pétain, Laval, L’avorton de Dieu : une vie de Saint-Paul et Coup d’Etat à l’Elysée.

Doté d'une prodigieuse mémoire, Alain Decaux a mis l'histoire à la portée de tous, restituant à la radio et à la télévision le passé comme s'il en était le témoin direct, avec une forme de bienveillance, une dérision élégante et un regard tendre et compatissant sur les événements qu'il décrivait.

L’Histoire à portée de tous

"Vous faites partie du paysage français", lui avait dit François Mitterrand en 1991, en lui remettant les insignes de commandeur de la Légion d'honneur. Dans un récit désenchanté sur son expérience ministérielle, Le Tapis rouge, il écrivait: "Je me faisais des illusions sur le rôle des ministres. Pendant des années, j'avais écrit dans mes livres: le ministre décide. Depuis, j'écris: le ministre souhaite..." Catholique mais pas partisan, se réclamant de "la gauche de Victor Hugo", l’homme est populaire et réhabilite l’Histoire, loin des querelles universitaires, la rendant familière et passionnante. Face à Bernard Pivot, dans Apostrophes, en 1979, il rappelait que "l’objectivité de l’historien n’existe pas". Ajoutant : "Les historiens devraient admettre qu’ils sont des écrivains."

Si Alain Decaux fut tout d'abord un peu "snobé" par les "vrais" historiens, ils sont nombreux aujourd'hui à saluer son travail passionné. Cet historien non universitaire a su longtemps garder l'enthousiasme de l'adolescent émerveillé, découvrant, alors malade, les aventures du comte de Monte-Cristo. "Je ne saurai jamais si Monte-Cristo m'a sauvé la vie, mais je lui dois ma passion pour l'histoire", disait-il, après s'être battu, avec succès, pour l'admission de la dépouille d'Alexandre Dumas au Panthéon. François Mauriac avait, en son temps, salué "un conteur comme il n'y en a plus. Il sait de quoi il parle, il est informé de tout ce qui concerne son sujet mais il garde le ton de l'enfance: Il y avait une fois…"


Metteur en scène, scénariste et interprète de ses récits

Lunettes d'écaille carrées et costume sobre, il se lève parfois pour présenter des cartes ou des croquis. Car, appréciant de jouer l'acteur, il aimait se mettre en scène, jusqu'à imiter le général de Gaulle levant les bras, lors d'une émission sur l'attentat du Petit-Clamart.

"Le type qui parle tout seul", comme on l'appelle volontiers, s'exprime simplement mais avec fougue et même panache, ne dédaignant pas les digressions. S'il se trompe, il rectifie lors de l'émission suivante, toujours avec naturel. Il entrecoupe par de petits gestes de la main ses portraits -du Masque de fer à l'Aiglon, de Sissi à Ravaillac, en passant par les Borgia-, n'hésitant pas aussi à suspendre son récit pour créer le suspense.

Ce sens de la dramaturgie, il a su l'exploiter avec Robert Hossein. Ensemble, dès 1975 et jusqu’en 2006, ils ont monté des fresques populaires sur scène autour de figures comme Danton et Robespierre, Marie-Antoinette, Bonaparte ou Jésus, faisant parfois interagir le public. Ils ont adapté Notre-Dame de Paris et Ben Hur. Avec Alain Peyrefitte, il écrit De Gaulle, celui qui a dit non. Et en 2007, seul, il créé N'ayez pas peur sur le pape Jean Paul II.
 
Dans L’énigme Anastasia, il écrivait : "Le théâtre est né de l’Histoire. Mais l’Histoire, elle, doit tant au théâtre !"
 
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Résolument, cette figure du siècle dernier assumait son parcours et affirmait ses choix. Dans le troisième tome de C’était le XXe siècle (Perrin réédite en poche les deux premiers tomes en juin), il se justifiait ainsi : "depuis mon adolescence, je n'ai cessé d'être fasciné par ce siècle. Que ce soit pour l'édition, la presse, la radio ou la télévision, je lui suis revenu sans cesse. Sans autre raison que ma curiosité, je me suis arrêté à certains épisodes ou à certains personnages."

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