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Financement participatif : 1,5 M€ pour la librairie en 5 ans

Alice Schneider, dans sa librairie La Régulière, rue Myrha à Paris, qu’elle anime avec Julia Mahler. En 2016, la librairie a récolté 10 500 euros dans une opération de financement participatif destinée à son ouverture. - Photo Olivier Dion

Financement participatif : 1,5 M€ pour la librairie en 5 ans

L’enquête exclusive de Livres Hebdo révèle que de 2013 à 2017 les plateformes de crowdfunding ont porté 127 campagnes de collecte au profit de librairies indépendantes, jusqu’à s’imposer comme le quatrième pilier du soutien au secteur.

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Par Cécilia Lacour,
Cécile Charonnat,
Créé le 26.01.2018 à 11h23

Le financement participatif a connu des débuts timides en librairie mais, en cinq ans, le phénomène a explosé. D’après les données compilées par Livres Hebdo dans le cadre d’une enquête exclusive, le nombre de campagnes de collecte a sextuplé. Depuis que, en janvier 2013, la librairie et bar à vins La Part de l’ange, à Portiragnes (Hérault), a fait appel à ce dispositif sur la plateforme Octopousse, reprise depuis par Ulule, 121 librairies ont fait, à travers 127 campagnes, appel aux particuliers pour contribuer à leur financement. De 7 en 2013, le nombre de campagnes a grimpé autour de 40 en 2016 et en 2017 (voir graphique dans "En chiffres").

La règle du "crowdfunding" est simple. Sur une durée limitée, l’entrepreneur sollicite les internautes, via une plateforme ad hoc, pour obtenir un don avec récompense. Si l’objectif financier est atteint au terme de l’échéance, l’entrepreneur remporte la cagnotte et reverse une commission de 2,9 à 8 % selon les plateformes. Sinon, l’entrepreneur ne touche rien et les donateurs sont remboursés.

L’enquête inédite de Livres Hebdo révèle qu’en librairie les appels aux dons concernent majoritairement des librairies généralistes de petite taille, ou, pour 12 d’entre elles, des spécialisées en jeunesse. 48 % des libraires concernés lancent une campagne pour créer une nouvelle librairie (voir graphique dans "En chiffres"), qui comporte, dans la majorité des cas, une activité annexe : café, salon de thé, restauration, bar à vins, bar à jeux, etc. La librairie Scylla, à Paris, a même profité d’une campagne à l’issue heureuse, menée sur son propre site Internet, pour fonder sa maison d’édition. Le financement participatif permet également de soutenir des entreprises déjà existantes. Sur cinq ans, 27 % des libraires ont fait appel à la solidarité des internautes pour faire face à un défaut de trésorerie, 9 % pour des travaux, et 8 % pour consolider leur projet de reprise.

89 % de réussite

En librairie, dans 89 % des cas, la campagne de financement participatif se solde par un succès. Un score exceptionnel comparé au taux moyen de succès de 65 % observé, tous secteurs confondus, sur la plateforme Ulule. Rapporté à l’ensemble de la finance participative en France, la librairie obtient de très bons résultats : 228 contributeurs en moyenne par projet, contre 72 dans les autres secteurs, selon le baromètre 2017 du crowdfunding en France réalisé par KPMG pour l’association Financement participatif France. De même, toujours en moyenne, la librairie collecte 11 850 euros par campagne, contre 4 785 euros pour les autres secteurs.

Alors que les demandes de dons s’étagent entre 170 et 58 000 euros, trois librairies ont dépassé le palier des 60 000 euros récoltés. Sept librairies ont même réussi l’exploit de collecter plus de 200 % de la somme initialement demandée. Le record est détenu par la librairie marseillaise L’Attrape-mots : elle a réuni 478 % de son objectif initial de 4 000 euros.

Solidarité et communauté

La clé de leur succès ? Une forte capacité de communication en direction d’une clientèle bien identifiée, et une grande mobilisation de leur communauté de lecteurs, selon Elodie Gonçalves, accompagnatrice de projets dans le secteur de l’édition chez Ulule. "Les campagnes qui concernent des lieux de vie physiques, comme les librairies ou les restaurants, sont celles qui marchent le mieux parce que les porteurs de projet s’adressent à leur public au sein même de leur établissement", explique-t-elle. La finance participative s’impose comme un nouveau levier de financement dans une société en quête de solidarité et de sentiment d’appartenance à une communauté. Selon une étude publiée en 2014 par la plateforme d’études de marché AdoctA, la démarche des contributeurs procède d’une volonté de soutenir un projet (20 %) ou d’y participer (19 %). Leur apport manifeste un véritable engagement : 74 % des donateurs se déclarent prêts à "faire la promotion acharnée" de la société qu’ils soutiennent.

Complément appréciable

Avec un record de 548 594 euros de dons réunis en 2016, et encore 476 375 euros en 2017 (1,5 million d’euros sur cinq ans), la finance participative s’est imposée comme le quatrième pilier du soutien financier à la librairie à côté des aides de l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc), du Centre national du livre (CNL) et des Régions (voir graphique dans "En chiffres"). Les dons contre récompense fournissent aux libraires en difficulté "un complément appréciable, une aide ponctuelle qui, dans le plan de financement, représente une dette en moins", admet-on au CNL. Ils permettent également de répondre à "un besoin vital, notamment quand on ne peut plus faire appel aux aides traditionnelles".

Le recours au financement participatif est une solution "à court terme et non un mode de financement à long terme, estime cependant Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française. Il n’est pas là pour mettre un pansement sur une difficulté. Il faut être conscient de l’équilibre économique propre à la librairie", prévient-il tout en reconnaissant que "dans le cas d’une ouverture de librairie, une campagne réussie, si elle permet de mobiliser un réseau, est un gage de réussite pour l’avenir". Pour l’heure, 83 % des 103 librairies qui ont mené une campagne pour leur création, leur sauvetage ou leur reprise sont toujours ouvertes. C. L.

En chiffres

"Une relation particulière avec nos donateurs"

Esther Duclercq et Marie-Laure Ndoye- Photo MA PETITE LIBRAIRIE

Ma Petite Librairie, à Bourgoin-Jallieu

Avec 904 participants et 38 200 euros récoltés, la collecte de Ma Petite Librairie, à Bourgoin-Jallieu (Isère), a apporté à Marie-Laure Ndoye et Esther Duclercq, ses fondatrices, "des clients parfaits qui sont là pour longtemps. Une relation particulière s’est créée avec nos donateurs, proche d’une amitié mais avec aussi un aspect commercial : ils sont beaucoup plus attentifs à notre santé économique, dont ils s’enquièrent régulièrement, et à la vie de la librairie, dans laquelle certains ont souhaité s’investir", constate Marie-Laure Ndoye.

En 2016, les deux libraires leur ont ainsi laissé carte blanche pour réaliser la vitrine de fin d’année. Ils sont aussi à l’origine de lectures, pour les enfants ou en poésie, et d’un mini-cycle de conférences sur la littérature jeunesse. De cet élan est même née une association, qui participe à l’organisation de rencontres.

Mais "cet engagement reste difficile à faire tenir sur la durée, souligne Marie-Laure Ndoye. Faute de temps, nous peinons à entretenir concrètement le lien et l’enthousiasmealors qu’il y aurait tant à faire."C. Ch.

"J’ai tenu les donateurs au courant du moindre événement"

Agnès Gateff- Photo L’ATTRAPE-MOTS

L’Attrape-mots, à Marseille

Une forte communauté, Agnès Gateff, qui dirige L’Attrape-mots à Marseille, en disposait déjà d’une "avant la campagne de financement participatif. Nos clients sont en effet très investis autour de la librairie", pointe la libraire.

La mobilisation exceptionnelle autour de sa collecte le prouve. Mais, pour entretenir et enrichir le lien, elle a d’abord choisi de leur offrir une belle fête, une fois la collecte terminée. Puis elle les a tenus au courant "du moindre événement" lié aux travaux de rajeunissement et de réorganisation qui ont suivi.

Devis, déplacement des livres, pose du parquet et peinture, puis remontage des étagères et réinstallation des linéaires, auxquels ont participé une poignée "d’amis-lecteurs", tout a été raconté sur le site de la plateforme Ulule et grâce à une newsletter spécialement envoyée. Une manière pour la libraire de "donner des nouvelles et de ne pas rompre le dialogue instauré par la demande de dons, qui se poursuit d’ailleurs toujours deux ans après".C. Ch.

 

"Le crowdfunding est bien perçu par le public"

 

Cécile Palusinski, spécialiste du financement participatif dans le secteur culturel, estime que la librairie a plus de chances que l’édition de réussir ses collectes.

 

Cécile Palusinski - Photo DR

Présidente de l’association La Plume de paon, qui promeut le livre audio francophone dans ses dimensions sociale, culturelle et pédagogique, Cécile Palusinski est aussi spécialiste du crowdfunding dans le secteur culturel. Elle a fondé Numered Conseil, une agence de conseil et de formation auprès des entreprises des arts visuels et de l’édition.

Cécile Palusinski - Le financement participatif fonctionne globalement très bien dans le secteur culturel. Les contributeurs sont motivés par le fait de partager les mêmes valeurs que le porteur de projet et par la volonté de soutenir des projets créatifs et innovants. De plus, la librairie est connectée au territoire et les libraires possèdent une base de données clientèle dans laquelle ils puisent pour trouver des contributeurs. La librairie est donc le secteur du livre qui a le plus de chances de réussir ses campagnes. Beaucoup plus, par exemple, que l’édition, qui connaît un peu moins bien son public.

Le crowdfunding est créateur d’emplois. Il permet de se créer une communauté et de se donner une visibilité : il devient une première vitrine pour des jeunes créateurs. Cela pose toutefois quelques questions, notamment celle de la frontière entre les projets amateurs et professionnels. On peut aussi se demander si le crowdfunding n’entraîne pas une possible désintermédiation, comme dans la chaîne de la musique.

Les campagnes peuvent marcher à long terme. Chez A titre d’aile, à Lyon, une association de clients a été créée après la campagne pour défendre les intérêts de la librairie. Au-delà du simple don financier, on s’aperçoit que les contributeurs veulent s’engager dans la vie de la librairie. Mais pas trop souvent non plus. Une campagne peut marcher une, deux, trois fois mais guère plus, car cela crée à force un sentiment de lassitude chez les donateurs. On assiste aussi à des financements plus réguliers et non ponctuels. La plateforme Tipeee vise à rémunérer les auteurs et les illustrateurs à long terme. Certains ont réussi, par ce biais, à dégager autour de 1 200 euros de revenus par mois.

Depuis 2014, où le gouvernement a fixé des règles pour les plateformes de financement, on observe une explosion du nombre de campagnes. Le crowdfunding est bien perçu par le public et il intervient pendant une période de baisse des financements publics. Il n’y a pas, pour le moment, de signe d’essoufflement. Bien au contraire.

 

Les revenus générés par le financement participatif sont à traiter au même titre que les autres revenus. Une entreprise soumise à la TVA sera assujettie à cette même TVA qui sera prélevée sur la somme collectée. Il faut également déclarer les dons perçus lors des bilans fiscaux. C. L.

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