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François Verdoux : "Je veux continuer à m'amuser"

Photo OLIVIER DION

François Verdoux : "Je veux continuer à m'amuser"

Ils se sont lancés dans le métier il y a quelques années. Leurs catalogues sont remarqués, appréciés, voire imités. Comment ont-ils fait ? Imaginaient-ils l'avenir ainsi ? Comment voient-ils l'évolution de leur métier, en ces temps où le livre numérique rebat les cartes ? Après Héloïse d'Ormesson, Oliver Gallmeister et Sabine Wespieser, c'est au tour de François Verdoux de Sonatine de répondre.

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Par Claude Combet
Créé le 15.02.2016 à 18h30

Livres Hebdo – Vous avez fait une carrière dans le cinéma : pourquoi vous êtes-vous lancé dans l'édition ?

François Verdoux – Les deux métiers ne sont pas si éloignés l'un de l'autre - il y est question de compte d'exploitation, d'à-valoir, de point mort -, à la différence près qu'il y a beaucoup plus de monde à gérer dans le cinéma. J'ai travaillé aux côtés d'Alain Sarde, mais il y a désormais à la tête des maisons de production des gens sortis d'HEC, qui manquent d'humour et n'ont pas le goût du risque. Je ne voulais plus exercer ce métier dans ces conditions.

En 2006, quand j'ai monté la boîte après six ans d'expérience comme éditeur et responsable des droits audiovisuels au Cherche Midi, on m'a traité de fou. Arnaud Hofmarcher, le directeur éditorial de la maison, et moi n'avions qu'une chose pour nous, c'était l'envie : celle de publier des livres qu'on voulait lire, comme à l'époque des grands producteurs de cinéma qui produisaient les films qu'ils avaient envie de voir.

Sonatine, dont le nom est un hommage au film du Japonais Takeshi Kitano, est placé sous le signe du polar et du cinéma. Avec Arnaud Hofmarcher, vous avez votre façon à vous d'éditer...

J'aime le roman noir depuis toujours : il y avait tout Simenon dans la maison de ma grand-mère. J'adore la fiction, les histoires, loin de toute littérature nombriliste, et tout ce qui relève du divertissement. Le cinéma et la musique en font partie et sont des passions que nous partageons avec Arnaud. Dès le départ, nous avons voulu faire une maison "à la fois chic et populaire" : je crois que nous n'avons pas trop mal réussi.

Notre credo est de dénicher de nouveaux auteurs, de rééditer des titres majeurs épuisés, comme Par un matin d'automne de Robert Goddard, ou de proposer des titres qui n'ont jamais été traduits, comme Au-delà du mal de Shane Stevens, qui date de 1979. On met parfois un an et demi à trouver les ayants droit, comme ce fut le cas pour Shane Stevens et Derek Van Arman (à paraître l'an prochain) : c'est le côté marrant de l'édition telle qu'on la pratique. C'est quand même plus rigolo d'enquêter sur un livre que de feuilleter le catalogue d'un agent qui vous dit : "Je te fais un prix pour trois titres."

Le succès a été au rendez-vous : en trois ans à peine, Sonatine a enregistré de grosses ventes, comme les 260 000 exemplaires du Hugh Laurie ou les 160 000 du Jesse Kellerman.

C'est vrai que nos scores peuvent faire des envieux, et nous en avons été les premiers surpris. Cela n'a pas été sans angoisse. On avait prévu un tirage de 14 000 exemplaires pour notre premier titre (Un sur deux de Steve Mosby), il a fallu en tirer 18 000 et j'avais très peur de prendre 15 000 retours. Gérard Collard l'a encensé dans "Le magazine de la santé" sur France 5, et il est devenu numéro un des ventes. Nous n'avions jamais imaginé que nous allions faire un carton avec Hugh Laurie. Je ne regarde jamais les séries en version française à la télévision, et j'avais juste vu les DVD. J'en ai parlé à Arnaud, qui me raconte que l'acteur a écrit un roman il y a quinze ans, très anglais, très caustique. On a fait une offre raisonnable. Le livre est sorti au moment de la diffusion de la quatrième saison de la série "Docteur House" et tout s'est emballé.

Non seulement Sonatine affiche une bonne santé financière, mais elle a aussi remporté l'adhésion des libraires. Comment l'expliquez-vous ?

Je suis fier avant tout d'avoir découvert Shane Stevens, Charles Powers ou Derek Van Arman (que nous publierons en mars 2012), grâce au talent d'Arnaud. Je pense que les libraires ont senti notre sincérité. Malgré les rumeurs qui circulent, nous sommes totalement indépendants. J'ai créé la maison en 2006 avec un ami financier, Guy Martinolle, et quelques amis, dont Pierre Lescure (mais Canal + n'a aucune participation dans la maison) et Jean-Pierre Lavoignat, fondateur de Première et de Studio. J'ai passé un accord de partenariat avec Le Cherche Midi portant sur la fabrication et le service commercial. Et nos premiers livres sont parus en 2008. Grâce au financement de Guy Martinolle, nous avons travaillé dans un confort moral total. On a également eu la chance de vendre tous nos titres en poche, ce qui nous assure aussi un apport financier non négligeable. On a gagné de l'argent dès la première année et on a pu rembourser Guy Martinolle dès la deuxième.

Comment envisagez-vous l'avenir ?

Je veux continuer à m'amuser. Notre ligne éditoriale reste la même. Nous avons déniché des pépites : En mémoire de la forêt de Charles T. Powers, à paraître en août, un thriller écrit par un journaliste du Los Angeles Times, mort brutalement en 1996 après avoir remis son manuscrit à son éditeur... et Il de Derek Van Arman, un livre culte paru dans les années 1990 qui décrit en détail les méthodes du FBI et que nous publierons en 2012. Nous ne pouvons pas entrer en guerre sur les à-valoir contre les grandes maisons. Nous voulons trouver des titres dont nous sommes les premiers et parfois les seuls à demander les droits.

Faut-il développer la maison, investir d'autres secteurs pour affronter la crise que connaît le livre ?

Mon souhait, c'est de conserver notre image auprès de la presse et des libraires. On publie vingt titres par an et on n'en publiera pas plus, car notre structure de quatre personnes ne peut pas en absorber davantage. Les libraires nous aiment bien pour cette raison, parce qu'ils ne sont pas submergés par nos publications. On essaie aussi d'équilibrer le programme éditorial annuel, avec un Ellory et un Cleeve tous les dix-huit mois pour ne pas lasser le lecteur. Nous réfléchissons actuellement à ce qu'on pourrait faire pour valoriser le fonds. Certains de nos titres comme Au-delà du mal de Shane Stevens, Seul le silence de R. J. Ellory ou La religion de Tim Willocks font partie des incontournables d'un rayon polar. Je reste très vigilant sur les frais et les charges fixes. Les retours, qui ont beaucoup augmenté de février à avril, m'inquiètent : on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise année.

Pourtant, vous souhaitez diversifier cette production... et imposer quelques titres de littérature "blanche"...

Notre image est tellement forte en polar que nous avons du mal à nous faire remarquer quand nous publions autre chose. Sonatine est un éditeur de littérature générale - notre nouvelle charte graphique a pour but de le souligner - et nous avons des titres de littérature "blanche" au catalogue. Nous publierons quatre romans en 2012, dont un Chuck Palahniuk. Il nous est arrivé de faire une incursion dans l'économie avec Le casse du siècle, qu'on a vendu à 12 000 exemplaires, et d'avoir débordé du simple divertissement avec Le royaume enchanté de James B. Stewart, prix Pulitzer, qui analyse le système Disney du temps d'Eisner. Mais on restera dans notre ligne éditoriale.

Quelle place accorde une maison telle que la vôtre au numérique ? Est-ce un développement que vous envisagez ?

Même si la France n'est pas encore entrée dans l'ère du numérique, notre objectif est bien d'être présent sur ce support. Nous avons commencé tard parce que c'est une procédure longue à mettre en place et que cela représente beaucoup de travail pour une petite équipe comme la nôtre. Ce n'est pas toujours facile de négocier les droits numériques, encore moins de revenir sur des contrats déjà négociés. Nous avons six titres numériques (dont la trilogie du Livre sans nom), disponibles sur l'e-plateforme d'Interforum et sur l'AppleStore. Pour l'instant, nous nous contentons de proposer en numérique nos titres phares. Mais nous systématisons le double support pour nos nouveautés.

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