Avant-portrait

On le présente souvent comme le Michel Foucault italien. Giorgio Agamben sourit le plus souvent à ce raccourci. La comparaison vient du fait qu’il a emprunté à Foucault la notion de "biopolitique" et que lui aussi s’intéresse au pouvoir de l’Etat et au fait que l’exception en la matière devient quelquefois la règle. Dans un français qu’il parle remarquablement, Giorgio Agamben s’exprime toujours avec précision. On retrouve cette concision dans ses ouvrages - près d’une trentaine aujourd’hui en français - dans lesquels il sonde les textes en profondeur.

Précarité de la langue

Après des études de droit et de philosophie, une thèse sur Simone Weil et le suivi des séminaires de Heidegger sur Hegel et Héraclite, il se lance dans l’enseignement puis la recherche. Professeur invité dans des universités américaines, ce spécialiste de Walter Benjamin intervient aussi pendant sept ans au Collège international de philosophie, à Paris.

Son premier livre paru en français chez Bourgois en 1981 s’intitule Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale. On y découvre son univers : Baudelaire, Nietzsche, Mallarmé, Dante et Lacan. Dix ans plus tard, il fait son entrée chez Payot et au Seuil qui deviendront ses deux éditeurs de référence.

C’est chez ce dernier qu’il publie sa série Homo sacer. Dans le droit romain archaïque, l’expression désigne un homme qu’on peut tuer sans commettre d’homicide. D’Aristote à Auschwitz, de l’habeas corpus aux droits de l’homme, Agamben propose sa relecture philosophique de la tradition politique. Au travers des totalitarismes, il cherche à déchiffrer les énigmes que le XXe siècle a posées à la raison historique.

Le feu et le récit, il revient à ses amours premières des grands textes. "Il appartient à la nature du roman d’être à la fois perte et commémoration du mystère." Avec force, il affirme l’importance pour une civilisation de se souvenir de son passé pour mieux comprendre le présent. "Si faire de l’histoire et raconter une histoire sont, en vérité, un seul et même geste, alors l’écrivain lui-même se trouve devant une tâche paradoxale."

Pour lui, écrire signifie "contempler la langue", en apprécier sa fragilité et savourer sa précarité. "Le mystère et l’histoire sont les deux éléments indispensables de la littérature." Voilà pourquoi il éprouve le besoin de mettre en place cette archéologie du savoir qui fait appel à la philologie, au droit, à l’économie, à la politique et à la théologie. "Après des années passées à lire, à écrire, à étudier, il arrive parfois qu’on parvienne à comprendre ce qui constitue notre manière spéciale - si elle existe - de procéder dans la pensée et dans la recherche." A 72 ans, Giorgio Agamben ne cesse de fouiller la littérature, moins pour y trouver des réponses que des questions qui incitent à lire encore.

Laurent Lemire

Le feu et le récit de Giorgio Agamben, traduit de l’italien par Martin Rueff, Rivages. Prix : 16,50 euros, 270 p. ISBN : 978-2-7436-3180-2. Sortie : 22 avril.

 

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