Google omniprésent au colloque de la BNF sur la numérisation du patrimoine

Robert Darnton et Patrick Bazin © O. Dion

Google omniprésent au colloque de la BNF sur la numérisation du patrimoine

Robert Darnton et Roger Chartier n'ont pas caché leur inquiétude, partagée par la plupart des intervenants, sur la stratégie du moteur de recherche.

Par Hervé Hugueny
avec hh Créé le 15.04.2015 à 20h04

Si sa puissance financière et l'audace de son projet de numérisation de livres ont été reconnues, Google n'a pas trouvé de chaleureux partisans lors de la journée d'étude organisée le 8 janvier par la Bibliothèque nationale de France, les universités de Paris ouest, Paris 8 et d'Avignon sur le site François Mitterrand à Paris. Ce colloque sur la numérisation du patrimoine des bibliothèques et les moteurs de recherche se tenait quatre jours avant la remise au ministre de la Culture du rapport de la commission présidée par Marc Tessier, sur la même sujet, et prévue mardi 12 janvier.

Robert Darnton, président de la bibliothèque de Harvard, a rappelé toute l'inquiétude que lui inspire le projet d'accord négocié aux Etats-Unis entre le moteur de recherche, les auteurs et les éditeurs américains. « Ce sera un monopole : après l'abandon de Microsoft, plus aucun concurrent n'a les capacités techniques et juridiques d'entreprendre un tel projet. Google, les auteurs et les éditeurs pourront fixer les tarifs qu'ils souhaitent pour l'accès à cette base de livres numérisée », estime le président de la bibliothèque de Harvard, rappelant que son institution investit aujourd'hui 3 millions de dollars par an dans les abonnements au fonds documentaires numérisés des grands groupes d'édition scientifique, qui imposent leurs conditions.


"je ne peux que dire que bravo"


« Je trouve que le tribunal parisien a raison », a-t-il ajouté faisait allusion à la condamnation pour contrefaçon prononcée le 18 décembre dernier contre la numérisation sans autorisation de livres français par Google. « Si son exemple était suivi aux Etats-Unis, il bouleverserait l'accord en discussion ; et si l'Etat français se charge de la numérisation de tout le patrimoine littéraire de la nation, je ne peux que dire que bravo ».


Pour Roger Chartier, historien spécialiste du livre, « c'est une illusion de considérer qu'un texte ou un écrit est toujours le même quel que soit son support. Ce qui domine sur Internet c'est l'anthologie, qui met en cause la distinction des oeuvres, telle qu'elle était perçue auparavant, avec des conséquences intellectuelles et juridiques fondamentales. »


« Arrêtons de dramatiser la numérisation du patrimoine", s'est exclamé Patrick Bazin. "ça dure depuis 20 ans. Je m'y étais trouvé pris avec les débuts de la BNF et de son programme de numérisation. L'enjeu majeur, c'est la démocratisation, l'extension de l'accès au savoir, au-delà des usages savants de l'écrit » estime le directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, où Google a commencé la numérisation de 500 000 ouvrages du fonds patrimonial. « Diffuser n'est pas démocratiser, et ne résout pas les difficultés d'accès en raison de la complexité des contenus » a nuancé Daniel Renoult, doyen de l'inspection générale des bibliothèques. Valérie Tesnière, directrice de la bibliothèque de documentation internationale contemporaine, a rappelé la nécessité de la coopération et d'une répartition des tâches entre bibliothèques, à l'image de ce qui se passe en Allemagne, afin notamment d'éviter la double numérisation des mêmes textes.



La maîtrise des fichiers


Avec les 140 millions d'euros du grand emprunt nécessaires au patrimoine écrit «nous suggérons un programme de 5 ans qui nous permettrait de numériser à parts égales des fonds de la BNF et d'autres bibliothèques françaises », a déclaré Bruno Racine. «Il y a deux domaines sur lesquels Google est imbattable, c'est la numérisation massive, et l'accès rapide à l'information. Les objections à Google sont fondées, mais il peut y avoir des convergences d'intérêt, avec cette entreprise qui est quand même tout à fait remarquable dans ses ambitions. La condition, c'est de conserver la pleine maîtrise des fichiers numériques, c'est un point sur lequel nous ne pouvons pas transiger » a insisté le président de la BNF.


« Nous souhaitons que l'exploitation commerciale ne soit pas possible par des tiers, pendant un temps donné » a expliqué Philippe Colombet. « La raison est simple : l'investissement est significatif, et si on veut continuer à le faire, il ne faut pas qu'on en soit immédiatement dépossédé par des téléchargements massifs, sinon ça ne justifie plus l'effort qu'on fait. Sur la durée de cette exclusivité, on peut arriver à un accord qui serait acceptable pour les deux parties, faute de quoi on ne pourra pas avancer ». Le directeur du programme Google Livres pour les pays francophones répondait à François Bourdoncle, co-fondateur et directeur de la stratégie du moteur de recherche Exalead, pour qui il serait regrettable d'accorder l'exclusivité de l'indexation du fonds numérisé de la BNF à un seul moteur de recherche.


En clôture de journée, Bruno Ory-Lavollée, magistrat à la cour des comptes, a insisté sur les risques qu'un monopole sur le contrôle et la distribution des fonds numérisés feraient peser sur l'ensemble de la chaîne du livre.

Les dernières
actualités