avant-portrait > Jean-Charles de Castelbajac, Michel Pastoureau

Le petit Jean-Charles s’imaginait chevalier. Rêve enfantin d’un destin haut en couleur, qui l’emmènerait loin de sa grise pension en Normandie. Il est vrai que l’école occupait un château, et sa salle à manger, une ancienne salle d’armes, matière aux fantasmes épiques. Côté aventures chevaleresques, l’histoire familiale n’est pas en reste. Il y a cet ancêtre qui se distingua lors de la guerre de Cent Ans, Arnault Guilhem de Barbazan. Grâce à lui, le blason de cette vieille famille de Bigorre, d’azur à la croix d’argent, c’est-à-dire bleu avec une croix blanche, s’est enrichi de fleurs de lis, un privilège insigne accordé au preux combattant par le roi, lequel se serait exclamé : "Lilia in cruce floruere" (Que le lis fleurisse sur la croix !), la devise des Castelbajac.

Culture pop

Mais Jean-Charles de Castelbajac n’embrasse pas la carrière militaire : "J’avais eu ma dose de discipline chez les frères de Bétharram", dit-il. Au moment de choisir un métier, il troque l’épée pour le crayon, rejoint l’usine textile de sa mère, crée des tissus. S’il s’intéresse aux matières, il n’oublie pas pour autant la couleur. Les couleurs franches de l’héraldique, dont les noms sont codés : or (jaune), argent (blanc), azur (bleu), gueules (rouge), sinople (vert), sable (noir)… L’entre-deux, très peu pour ce créateur tout d’un bloc : "Pas de Pastelbajac !" Et puis cette palette n’est-elle pas raccord avec sa culture pop, son goût du rock et du rap ? L’ultra contemporain se passionne toujours pour l’histoire, et découvre les livres du spécialiste des couleurs Michel Pastoureau.

Chevaliers

L’historien du Moyen Age est issu d’un tout autre milieu - son père est un proche des surréalistes. C’est par les voies de la poésie du lexique des blasons, de la ludique combinatoire des couleurs, régie par des règles strictes, du bestiaire médiéval qu’il vient à l’héraldique. C’est "amicalement vôtre", ou plutôt chromatiquement vôtre.

La paire se retrouve à dialoguer lors de la sortie de Noir : histoire d’une couleur (Seuil, 2008). Avant que, sous l’égide de la BNF, Michel Pastoureau et Jean-Charles de Castelbajac ne soient à nouveau réunis pour discuter à bâtons rompus d’un ouvrage du XVe siècle unique en son genre, le Grand armorial équestre de la Toison d’or, où sont répertoriées les armoiries des grandes familles, livre enluminé où défilent soixante-dix-neuf chevaliers en armure et à cheval, stylisés, très "ligne claire", à la silhouette allongée. "Comme vus d’en bas, sans doute ont-ils été peints par un dessinateur de vitrail", note le médiéviste. Aux analyses érudites de l’historien se mêle la touche fantaisiste du styliste, qu’attestent ses dessins, entre Cocteau et Keith Haring. On y croise un Guy de Bord (sic), "chevalier de situ".

Sean J. Rose

Le grand armorial équestre de la Toison d’or, par Michel Pastoureau et Jean-Charles de Castelbajac, Seuil/Bibliothèque nationale de France. Prix : 49 euros, 256 p. Sortie : 2 novembre. ISBN : 978-2-02137325-7

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