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Il était une fois La Hune

La Hune en 2015. - Photo Olivier Dion

Il était une fois La Hune

La fermeture de la librairie phare du Paris intellectuel et artistique de la seconde moitié du XXe siècle traduit la mutation de la capitale et un changement d’époque.

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Par Clarisse Normand
Créé le 06.03.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 06.03.2015 à 10h30

Avec la fermeture prévue fin juin de la librairie La Hune, un établissement mythique de Saint-Germain-des-Prés disparaît. L’enseigne restera mais le concept va changer… même si le nouveau projet de "galerie-librairie" dédiée à la photo, porté par les fondateurs de YellowKorner, peut apparaître comme un clin d’œil aux débuts de La Hune. La célèbre institution germanopratine fut d’abord, lors de sa création, conçue comme une "librairie-galerie" faisant dialoguer les différents modes d’expression artistiques.

Après une brève expérience menée dans la rue de Vaugirard avec quelques-uns de leurs camarades de la Sorbonne, Bernard Gheerbrant et Jacqueline Lemunier, sa femme, ouvrent le 1er juin 1944 une librairie située 12, rue Monsieur-le-Prince, où se situe aujourd’hui L’Escalier. Le choix de l’enseigne La Hune est dicté par la configuration du local, explique Bernard Gheerbrant dans son livre A La Hune, histoire d’une librairie-galerie à Saint-Germain-des-Prés, paru en 1988. S’avançant telle "une proue de navire" à l’angle des rues Monsieur-le-Prince et Casimir-Delavigne, la librairie avait un escalier intérieur qui "faisait penser à celui du mât principal d’un grand voilier montant au poste d’observation".

Simone de Beauvoir et Camus

Curieux de nouveautés, passionné d’édition, de bibliophilie et d’art, Bernard Gheerbrant fait rapidement de La Hune un lieu proche de l’avant-garde artistique qui se distingue des librairies traditionnelles. En outre, "la galerie donnait la possibilité de créer l’événement autour d’un livre". Toutefois, l’établissement se révèle vite trop étroit. Aussi déménage-t-il en 1949 sur le boulevard Saint-Germain, dans un local de 110 m2 qu’il occupera jusqu’en 2012. En phase avec le bouillonnement intellectuel de l’époque et du quartier, la librairie-galerie devient un lieu incontournable pour de nombreux artistes et auteurs. Dans son livre, Bernard Gheerbrant évoque Simone de Beauvoir qui "venait compulser et acheter, après le café matinal au Flore avec Sartre qui lui donnait la liste de tout ce qu’il avait repéré en vitrine", et Albert Camus qui "avait une parole amicale pour chacun". De nombreuses autres personnalités défilent parmi lesquelles "Roland Barthes notre voisin", "Nourissier avant d’aller déjeuner chez Lipp", Françoise Sagan, mais aussi Jacques Lacan, Alberto Giacometti, Juliette Gréco…

Accompagnant l’essor de la jeune littérature, La Hune participe aux débats du moment. C’est dans ses murs qu’ont lieu les explications autour du scandale du manuscrit inédit de Rimbaud, La chasse spirituelle, édité en 1949 par le Mercure de France. C’est aussi elle qui organise en 1959 la première exposition en France de Duchamp à l’occasion de la sortie du livre de Robert Lebel Sur Marcel Duchamp.

Ouverte jusqu’à minuit

Mais à côté des beaux-arts et du graphisme, les sciences humaines s’imposent aussi comme un des piliers de la librairie. Forte d’un rayonnement croissant, La Hune décide, à partir de 1966, de rester ouverte jusqu’à minuit et double son équipe. Dans le même temps, des problèmes d’espace se font sentir avec la multiplication des livres au format de poche et l’internationalisation des livres sur l’art. "La libraire avait été conçue pour 10 000 livres, nous approchions par miracle des 20 000 mais il fallait arriver à 30 000 ", écrit Bernard Gheerbrant. Un premier réaménagement a donc lieu en 1969, suivi d’un second en 1975 avec le transfert de l’activité galerie de l’autre côté de la place Saint-Germain-des-Prés, au 14, rue de l’Abbaye, juste à côté de l’emplacement actuel de la librairie.

Dès lors, La Hune du boulevard Saint-Germain se recentre sur le livre et renforce ses points forts. Toutefois, les années 1970 marquent le début de difficultés financières pour l’établissement qui doit faire face à d’importantes dépenses de modernisation et subit, à partir de 1974, la concurrence de la première Fnac vendant des livres, à Montparnasse. En 1976, Bernard Gheerbrant cède sa librairie, désormais séparée de la galerie, à Flammarion, déjà propriétaire d’autres points de vente. L’arrivée du libraire Georges Dupré, qui dirigera La Hune tout au long de la décennie 1980, permet de maintenir et même de consolider son image d’exigence et de qualité.

En revanche, un basculement s’opère dans les années 1990 à la fois par le départ de Georges Dupré, le dernier grand directeur de La Hune, et par la conversion de la librairie médicale voisine en librairie générale, L’Ecume des pages. Cette pression concurrentielle ira même croissant quand, après son incendie en 2002, L’Ecume des pages rouvre dans un bel espace rénové et de plain-pied tandis que La Hune reste dans des locaux peu pratiques et vieillissants.

Perte d’identité

Dans le même temps, l’environnement change et le quartier qui fut celui des intellectuels et des artistes devient un quartier de luxe de plus en plus fréquenté par les touristes. La Hune tente de s’adapter et réoriente son offre. Mais, perdant en exigence, elle perd aussi son identité, tandis qu’en interne apparaissent des problèmes d’équipe et de management. En 2012, la librairie quitte son local, qu’elle avait fini par acquérir, et s’installe de l’autre coté de la place Saint-Germain-des-Prés dans une boutique de la Ville de Paris gérée par la Semaest. Ce changement précipite le déclin. Les locaux sont beaux mais, comme la librairie Le Divan en avait fait l’expérience par le passé, en retrait. Résultat, La Hune perd sa clientèle de passage et n’a plus une offre assez différenciée et attractive pour devenir un lieu de destination. En outre, son déménagement intervenant au moment où elle changeait d’actionnaire, avec le rachat de Flammarion par Gallimard, l’information du public a laissé à désirer. Du coup, le chiffre d’affaires accélère sa chute pour tomber en 2014 sous les 2 millions d’euros, soit deux fois moins qu’aux belles heures. Pourtant, parallèlement, les charges sont maîtrisées : l’équipe, qui a compté jusqu’à 20 personnes, ne dépasse plus les 10, dont seulement 4 CDI, et le loyer, négocié avec la Semaest, a été adapté à la faible rentabilité de la profession. Le navire aurait-il pu être sauvé ? Cela n’a pas été le choix de l’actionnaire Madrigall, par ailleurs propriétaire de 8 autres librairies.

Il reste que, derrière le cas de La Hune, se pose plus globalement la question de l’avenir des "librairies charpentes", ces grands établissements historiques qui, pour beaucoup, vont devoir faire l’objet de transmission dans les prochaines années.


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