Concept

La "Librairie café social club" de Mont-de-Marsan

Vue d’architecte de la future devanture de la librairie. - Photo DR/Caractères

La "Librairie café social club" de Mont-de-Marsan

En déménageant et en quintuplant la surface de la librairie qu’il pilote depuis six ans dans la préfecture des Landes, Anthony Clément la repositionne comme un pôle culturel global, engagé dans le soutien aux artistes locaux, grâce à la conjugaison de l’ambition sociale et du projet commercial, de l’initiative privée et du partenariat associatif.

Par Cécile Charonnat
Créé le 20.12.2021 à 09h58

En ouvrant, ce 9 décembre à Mont-de-Marsan, les nouvelles portes de Caractères, Anthony Clément fait bien plus que dévoiler le nouvel écrin de sa librairie généraliste. Au passage, il lui a offert une nouvelle dimension, et pas seulement en termes de surface. Certes, la librairie montoise, créée en 1986 par Poppy Descamps, gagne 465 m2 avec ce quatrième déménagement, passant de 110 m2 à 575 m2. Mais surtout, elle se transforme en un "tiers lieu protéiforme, sorte de petit pôle culturel s’appuyant sur le livre, qui reste un formidable vecteur de rencontres", explique le libraire.

Romain Baxerres (littérature et sciences humaines), Aurore Pourny (littérature et jeunesse) et Anthony Clément dans le décor conçu par ce dernier. - Photo DR/CARACTÈRES

Anthony Clément rumine ce projet, qu’il qualifie "d’innovation sociale", depuis presque dix ans. Sa première inspiration, il la trouve à la librairie La Central, à Barcelone, ville qu’il habite de 2004 à 2009 et où il obtient son double master de lettres modernes et d’édition. Il l’a toujours en tête lorsqu’il reprend en 2010 Caractères, la librairie de son enfance qu’il ne voulait pas voir "péricliter" et sur laquelle il compte s’appuyer pour "redonner du souffle" à cette ville dont il a fui à 18 ans l’"immobilisme culturel". Il multiplie alors rencontres, salons et partenariats, dit oui à tout. "Grâce à son hyperactivité, Anthony a enclenché une réelle dynamique sur son territoire : il va partout et sait travailler en réseau avec la communauté éducative et les acteurs culturels locaux. Sa librairie est devenue un lieu social", témoigne Romane Camus-Cherruau, chargée de coordination de l’association Les Librairies atlantiques, dont Anthony Clément est l’un des administrateurs.

Garage Librairie

Aujourd’hui, Caractères représente "bien plus qu’un simple point de vente du livre. C’est un lieu de vie où les gens aiment se rencontrer le samedi après-midi, apprécié pour ses conseils, son ambiance et sa programmation culturelle", se félicite Anthony Clément. En six ans, il y a organisé quelque 250 rendez-vous : rencontres avec des auteurs ou des éditeurs, concerts, théâtre de poche, qui attirent jusqu’à une centaine de personnes. Il devenait indispensable d’offrir à la librairie "un espace plus adapté", d’autant que le loyer de 2 400 euros par mois, qui représente 9 % du chiffre d’affaires annuel, grevait toute capacité d’investissement et d’augmentation de la masse salariale. Le libraire jette finalement son dévolu sur un ancien garage Peugeot, inoccupé depuis 2008, qui a l’avantage de se trouver dans "la rue culturelle de Mont-de-Marsan", en face d’un cinéma et à proximité d’une salle de concerts. Après le Garage Rock, la Garage Librairie.

Dans ce bâtiment datant des années 1920 au style Art déco, Caractères, intitulée officiellement "Librairie café social club", se déploie désormais sur deux niveaux dans un décor dominé par le bois et entièrement conçu par Anthony Clément. Davantage à vocation commerciale, le rez-de-chaussée de 265 m2 abrite les livres, qui partagent l’espace avec une petite scène allouée aux programmations multiples, un café qui propose des formules gourmandes et littéraires et un espace d’exposition "encore modeste avant son déplacement au premier étage", précise Anthony Clément. Si la librairie conserve son ancrage en littérature et en sciences humaines, qui la caractérise depuis sa création, elle prend aussi, grâce au déménagement et à l’agrandissement, une tonalité jeunesse. Le rayon présente plus de références et se trouve enrichi d’une gamme de jeux et d’une offre accrue en carterie et en illustration. Le fonds arts, notamment la photo et les arts régionaux, bénéficie également de l’agrandissement. Au total, l’assortiment de la librairie gonfle de près d’un tiers. Il devrait osciller entre 11 000 et 12 000 titres.

Graphisme, textile, édition

Mais la véritable innovation est à chercher au premier étage. Encore en travaux, l’espace de 310 m2, haut de plafond et illuminé par une verrière, dont la réfection sera portée par un financement participatif, devrait être opérationnel courant 2017. Outre les expositions, qui feront la part belle à la photographie et aux artistes locaux, s’y établiront un atelier graphique, une designer textile, qui présentera ses créations, et surtout le bureau de l’association chargée d’encadrer et de coordonner l’ensemble des activités culturelles de la librairie. Véritable cœur du réacteur de Caractères, elle servira également de point d’appui à la future maison d’édition, dédiée à la poésie, au roman contemporain et à la photo, qu’Anthony Clément, qui a eu une vie d’éditeur avant d’être libraire, crééera dans l’année. Chacun paiera une part du loyer, afin de couvrir la moitié des 2 500 euros que débourse chaque mois la librairie, ce qui permettra à Anthony Clément de consacrer une plus large part de son chiffre d’affaires à ses salariés.

Dans une ville de 35 000 habitants déjà bien équipée en points de vente du livre avec deux librairies indépendantes (Lacoste et Bulles d’encre) et deux espaces culturels Leclerc, et où la population n’est pas en extension, ce projet "ambitieux, culotté et admirable" tombe pourtant "à pic", analyse Emmanuelle Andrieux. Pour l’ancienne chargée de l’économie du livre au centre régional du livre (Ecla), qui a ouvert sa propre librairie en mars à Capbreton, "ce modèle hybride, qui conjugue entreprise privée et association tout en s’inscrivant dans un réseau d’acteurs locaux, peut nous aider à trouver de nouveaux biais pour aborder la librairie". S’il partage l’analyse, Anthony Clément voit avant tout la possibilité "d’offrir un lieu culturel de qualité sur le long terme là où une demande existe mais qui n’est pas prise en charge par la municipalité". La réception, le 16 décembre, de Véronique Béghain, qui a participé à l’édition en "Pléiade" des œuvres de Jack London, en constitue, pour le libraire, l’éclatante illustration.

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