Rentrée littéraire 2021

Isabelle Sorente, «La femme et l'oiseau» (JC Lattès) : Malgré-nous, et pour eux

Isabelle Sorente - avril 2021 - Photo © Patrice Normand / JC Lattès

Isabelle Sorente, «La femme et l'oiseau» (JC Lattès) : Malgré-nous, et pour eux

Isabelle Sorente réunit au cœur des Vosges une femme, sa fille adoptive et son grand-oncle ermite pour explorer la trace tragique de l'Histoire. Tirage à 6500 exemplaires.

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Par Olivier Mony
Créé le 08.06.2021 à 18h31

De jusqu'au Complexe de la sorcière (Lattès, 2001 et 2020), il est permis bien sûr d'apprécier différemment Isabelle Sorente. Mais il est impossible de nier qu'elle est absolument, résolument, du côté de la littérature. Cette femme musarde parfois douloureusement, plus souvent qu'on ne le croit joyeusement, autour de quelques grandes obsessions - le désir, les rites, la condition féminine, le couple, l'entre-soi et les aléas de l'intimité -, créant une métaphysique volontiers païenne et hédoniste. Elle suit depuis toujours une même ligne brisée où, à chaque livre (chaque roman, la plupart du temps), elle se « joue volontiers la peau » pour reprendre une expression arrachée à l'univers de la tauromachie. Écrire est pour elle un risque. Il n'y a pas de raison que la lire ne le soit pas aussi : ce beau risque de l'altérité radicale d'une œuvre ontologiquement singulière.

Ce nouveau roman, La femme et l'oiseau, qui pourrait et qui devrait être l'un des grands livres de cette prochaine rentrée, ne déroge pas à la règle. Pourtant, il marque une étape dans le travail d'Isabelle Sorente, car jamais elle ne s'est rapprochée à ce point des canons d'un récit classique, sans pour autant renier la hauteur de son propos. Il faut croire que, comme Barthes,il y a eu un moment où elle a cessé de se poser la question d'être moderne.

Soit donc, Thomas, un très vieil homme, nonagénaire mais portant beau encore, un ancien ébéniste vivant en ermite dans la maison de son enfance au cœur du massif des Vosges. Il n'a et ne veut pour seule compagnie que cette nature qui a toujours été sienne, les faucons qui à l'aube viennent profiter de la nourriture qu'il leur offre. Une dame de compagnie, Mona, de près de trente ans sa cadette, s'occupe de lui, de ses affaires et essaie d'ignorer la nature réelle des sentiments qui la rapprochent de lui. Thomas n'a plus guère de famille et s'en dispense aisément. Jusqu'au jour où il reçoit un coup de téléphone d'Élisabeth, sa petite-nièce, à laquelle le lient quand même de tendres souvenirs. Cette productrice de documentaires à Paris lui apprend que la fille qu'elle a eue quatorze ans auparavant, Vina, a en fait été adoptée à sa naissance en Inde, que malgré ses brillants résultats scolaires, elle ne va pas très bien et lui demande si toutes deux peuvent venir passer quelques jours chez lui. Non sans crainte, le vieil homme y consent. Il n'aura pas à le regretter.

Le roman, admirable d'équilibre et de beauté, est donc le récit de ce séjour inattendu, mais aussi de celui, tragique, atroce, que fit Thomas avec son frère aîné, soixante-dix ans auparavant, au camp de prisonniers de Tambov, parmi les « malgré-nous », Français alsaciens ou mosellans, enrôlés de force dans la Wehrmacht et souvent traités comme des soldats allemands par l'Armée rouge lors de la Libération. Il en résultera que d'une façon ou de l'autre, nous sommes tous des « malgré-nous »... Certes, mais alors qui est la femme, qui est l'oiseau ? Vous verrez. Et c'est si beau.

Isabelle Sorente
La femme et l’oiseau
JC Lattès
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 20,90 € ; 396 p.
ISBN: 9782709668712

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