Littérature américaine

Jason Mott, « L'enfant qui voulait disparaître » (Autrement) : L'art d'être noir

Jason Mott©Michael Becker - Photo © Michael Becker

Jason Mott, « L'enfant qui voulait disparaître » (Autrement) : L'art d'être noir

Lauréat du National Book Award, Jason Mott compose un roman métaphorique magnifique sur l'identité et le racisme en Amérique. Tirage à 6000 exemplaires.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 04.02.2022 à 19h35 ,
Mis à jour le 10.02.2022 à 17h44

« La vie n'est que chaos », surtout quand on a une couleur de peau sombre. « Elle est un péché. Une putain de malédiction. La dernière chose dont on rêve. » Surtout quand il y a des répercussions de génération en génération. Le petit Charbon « sait qu'il est noir. Pas foncé, mais noir. Noir comme les yeux fermés. Noir comme des nuits sans lune ». Il fait constamment l'objet d'humiliations et de moqueries. Si l'école constitue un lieu de misère, sa maison représente un havre apaisant, avec des parents aimants. Toute sa vie, son père « a craint le regard des autres. Pourquoi ne désirerait-il pas que son enfant puisse apprendre l'impossible secret de l'invisibilité ? » Ainsi, il lui répète quotidiennement ce mantra protecteur : « Tu seras transparent et à l'abri toute ta vie », histoire de le préserver de ce racisme ambiant, qui condamne les gens dès leur naissance. Tous les citoyens américains sont censés être libres et égaux, mais il n'en est rien. « C'est devenu la bande-son de l'Amérique. Le rythme qui guide nos vies et nos sentiments. Les corps des types qui se font flinguer sont devenus des marqueurs temporels. » C'est un portrait au vitriol que dresse Jason Mott dans cette fable contemporaine qui dénonce une violence physique, psychique et sociale à l'égard des Noirs.

Mais au lieu de sombrer dans le pathos, il nous livre une rencontre inoubliable entre un enfant et un adulte. Le premier étant Charbon, ce garçonnet se croyant doté d'un pouvoir magique : disparaître pour sauver sa peau. Il a en tout cas celui de surgir sans cesse dans l'existence d'un écrivain noir à succès. Ce dernier incarne « le jeune romancier qui fait rêver l'Amérique ». En pleine promo, il tombe sur celui qu'il surnomme le Gamin. Pourquoi le suit-il comme son ombre ? Qui est-il ? D'où sort-il ? Il est fasciné par ce bambin « qui fonce la tête la première, la tête emplie de rêves et la vie pleine de désillusions », à qui il renvoie un reflet étonnant de son pays et de lui-même. Y compris celui d'un auteur qui a tendance à se fuir. « Les écrivains blancs n'ont pas à écrire sur leur "blanchitude" », alors pourquoi doit-il devenir un symbole noir ? Bientôt les deux compères deviennent inséparables. Peu importe que le Gamin existe ou non tant il semble vivant aux yeux de l'écrivain et des lecteurs. Au fil des pages, ces derniers se familiarisent avec le passé, les traumas et les aspirations des protagonistes. « Il faut choisir ses batailles. »

Voilà pourquoi l'écrivain a pris la plume pour renaître sur des feuilles blanches. « Quelque chose m'a poussé à abolir les barrières entre la réalité et l'imagination. » Un point commun avec le Gamin. « Charbon devient croyant. Pas en Dieu, mais il croit dans le pouvoir des histoires. Chaque histoire recelait une leçon importante dont on pouvait tirer profit. » Dans ce roman puissant, beau à couper le souffle, Jason Mott ne nous offre aucune leçon si ce n'est qu'« un jour, tu devras apprendre à t'aimer comme tu es. C'est dingo, l'espoir ».

Jason Mott
L'enfant qui voulait disparaître Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Schmidt
Autrement
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 430 p.
ISBN: 9782746763005

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