Rentrée littéraire 2021

Jean-Claude Grumberg, « Jacqueline Jacqueline » (Seuil) : L'hymne à l'amour

Jean-Claude Grumberg - Photo © Serge Kribus

Jean-Claude Grumberg, « Jacqueline Jacqueline » (Seuil) : L'hymne à l'amour

Le Seuil ayant avancé de quinze jours la publication de Jacqueline Jacqueline, voici en avant-première la critique à retrouver dans le cahier littéraire du prochain LH Le Magazine, disponible le 26 août. Alors que son précédent livre connaît un succès mondial, Jean-Claude Grumberg perd la compagne d'une vie. À Jacqueline il déclare ici sa flamme.

Par Sean Rose
Créé le 13.09.2021 à 14h23

Le malheur détruit des vies, il arrive aussi qu'il construise une œuvre - l'œuvre de celui ou celle qui a survécu au malheur. Jean-Claude Grumberg, son malheur ç'aura été la guerre, la rafle des Juifs en France, la déportation d'un père jamais revenu des camps… La Shoah est le fil qui relie toutes ses pièces, ses livres, jusqu'à ce conte La plus précieuse des marchandises (Seuil, 2019, repris en « Points », 2020) qui est devenu un best-seller mondial. Alors que cette histoire de petite orpheline rescapée du train de la mort est traduite en une vingtaine de langues, le dramaturge et scénariste perd son épouse. 

Jacqueline Jacqueline est une adresse à la compagne d'une vie, fumeuse invétérée, qui succomba à sa tumeur au poumon. Le veuf recompose le puzzle de la chère disparue. Les images surgissent par à-coups comme des flashes, ou subrepticement sans crier gare. Apparaissent alors en filigrane dans le quotidien de l'endeuillé les gestes et les paroles de l'absente soudain ressuscitée. Comment ? L'auteur dramatique ne fait pas tourner les tables, il écrit. Tout simplement. Mais pas de cette plume mordante, pas par le truchement de ces mots avec lesquels il savait si bien jouer dans ses œuvres théâtrales et autres dialogues de film.

Non, ce sont avec d'autres mots, trop souvent tus, que, du vivant de sa belle et sensuelle femme, « elegantz » (comme dit en yiddish le grand-père de Grumberg), il avait scellés en son cœur d'homme d'esprit. Parce que chez l'auteur de L'atelier, même si la catastrophe a toujours été le sujet, l'humour a sans cesse voulu désamorcer la gravité des situations : Grumberg pratique une sorte d'homéopathie existentielle où il s'agit de guérir l'absurde par l'absurde. De son propre aveu : « je n'ai jamais su parler d'amour sans ricaner ».

Mais avec Jacqueline partie, pour de bon, plus question de faire le malin, et l'auteur dramatique de coucher sur le papier, nues, sans fard, ces choses de la vie avec Jacqueline, et du monde où il dort sans elle, d'un monde qui a perdu la moitié de sa réalité. Jean-Claude Grumberg convoque leur jeunesse de survivants (elle aussi est d'une famille de Juifs de l'Est), ses débuts dans le théâtre, leurs soixante ans de vie de couple faits d'étreintes passionnées et jalonnés de petites disputes, « l'oiseau sans ailes » de la fin du sexe, leur fille Olga, leur petite-fille Jeanne, leurs séjours à Arcachon ou à Cabourg, leur quartier Seine-Buci, les chansons de Montand et de Piaf, sa dépression à lui, son soutien à elle.

Et tout le ramène à Jacqueline, à la plénitude de son corps, sa silhouette, ses seins, ses lèvres, sa main qu'il a tenue jusqu'au dernier instant, ou au vide qu'elle a laissé. La fluidité de l'écriture ne se trouble par moments que lorsque les larmes de l'écrivain lui viennent et syncopent ce chant d'amour, qui n'est autre qu'une lutte contre l'oubli. Écrire donc « pour te retenir, pour te garder encore, pour garder l'être aimé qui s'éloigne inexorablement, happé par les trous noirs du temps qui passe et qui efface ta douceur et ta beauté ».

 

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