Roman

Jean-Philippe Blondel, "Café sans filtre" (L'Iconoclaste) : La covidie humaine

Jean-Philippe Blondel, "Café sans filtre" (L'Iconoclaste) : La covidie humaine

Dans un registre tendre et sensible, Jean-Philippe Blondel fait s'entrecroiser des existences le temps d'une journée au café.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 04.04.2022 à 11h00 ,
Mis à jour le 04.04.2022 à 16h03

Le café, c'est le Tom's, un bistro d'une ville de province jamais nommée, pas loin de la mer, comme il y en a encore beaucoup en France. C'est son ancienne propriétaire, Jocelyne, qui l'a baptisé ainsi, il y a longtemps, en mémoire de Thomas, l'enfant mort-né qu'elle a failli avoir avec Michel, cheminot et militant socialiste. Ils ont ensuite rompu. Lorsqu'elle a légué son affaire à Fabrice, qu'elle considère un peu comme le fils qu'elle n'a pas eu, elle lui a demandé de conserver son nom, très années 1980. Depuis, Fabrice tient le bar avec José, son ami de toujours, qu'il protège depuis une sombre affaire de deal au lycée. Entre eux, une réelle affection, mais José est sur le point de partir, enfin, faire sa vie : cap sur l'Écosse, première étape d'un possible tour du monde. Pour le remplacer en cuisine, il propose Ahmed, ex-caillera recyclée chef. Quant à la salle... Tout va se décider au cours d'une nuit de discussion amicale entre Jocelyne et les deux garçons, rejoints par Chloé, l'énigmatique, la solitaire qui passe sa vie dans un coin du bistrot, sans parler à personne, à griffonner des dessins dans un carnet. Au terme d'un lent processus, de confidences lâchées à l'un ou à l'autre, dans un lieu propice et chaleureux, à l'ambiance d'autrefois, elle livrera son histoire compliquée, le pourquoi de son retour − une rupture sentimentale en Finlande, et le départ de sa mère pour le sud, afin de se confiner avec son copain, laissant sa maison inoccupée −, et intégrera la petite famille du Tom's.

Le roman se situe sur moins de vingt-quatre heures, dans le café et à sa terrasse. Dès 10 h 30 du matin, deux clients solitaires. Chloé, 31 ans, et Thibault Detressant, un écrivain connu de 57 ans, lequel attend son ami Pierre, toujours en retard. Pierre, le beau gosse, le tombeur, dont il était amoureux au lycée. Sans espoir. Ils se sont retrouvés sur les réseaux sociaux, se sont revus quelques fois. Mais cette fois, ce sera la dernière... Plus tard viendra une mère, Françoise, 60 ans, l'« épouse parfaite » de Marc, avec son fils Guillaume, 25 ans. Explication tendue : le fils est un salaud qui espionne sa mère (laquelle va demander le divorce) pour le compte paternel ; il est également coupable d'avoir salement harcelé, durant des années, Léa, la fille de Lucie, la libraire amie de Françoise. Laquelle « congédie » Guillaume, la veille de son départ pour le Canada. Au registre des règlements de comptes, il y a aussi Manon, qui croise par hasard Étienne, lequel l'a plantée, il y a dix-sept ans, à Sydney, sur une rupture sèche, alors qu'amoureuse, elle avait tout quitté pour le rejoindre. Il va tenter de se justifier lâchement.

Tendre et sensible, fort habilement mené, ce roman polyphonique, où chacun des personnages prend tour à tour la parole, a pour toile de fond l'épidémie de Covid, qui a bouleversé des vies, interrompu des relations, mis à l'arrêt tant de choses, dont les cafés. On sent encore, derrière l'euphorie des loisirs autorisés, le trauma des mois de fermeture, l'angoisse d'un regain possible du virus. L'urgence de profiter, de saisir le bonheur, même modeste. De se retrouver et de parler d'avenir.

Jean-Philippe Blondel
Café sans filtre
L'Iconoclaste
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 19 € ; 300 p.
ISBN: 9782378802844

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