10 octobre > récit France

Chantal Akerman- Photo DR/MERCURE DE FRANCE

C’est un début qui commence comme une fin : « J’ai écrit tout ça et maintenant je n’aime plus ce que j’ai écrit. » La sévérité sans appel du jugement, dès la première phrase de Ma mère rit de Chantal Akerman, pourrait passer pour une coquetterie, un avertissement placé en exergue pour solliciter l’indulgence ou le démenti. Pourtant, à aucun moment de ce livre fort, frontal, nouveau titre de la collection « Traits et portraits » du Mercure de France, on ne doute de la sincérité de cette appréciation. Toute la respiration du texte est là : va-et-vient, souffle court, entre avant et maintenant, entre joie et culpabilité en courant alternatif. Traçant à la pointe dure son autoportrait en fille de sa mère, « en vieil enfant » de 60 ans, la cinéaste belge avance avec une honnêteté mélancolique dans ce récit rétrospectif centré sur la figure maternelle mais autour duquel gravitent aussi le père, la sœur cadette et des amoureuses désignées par des initiales. Elle dit les liens qui la tiennent et la ligotent, de doutes en regrets, d’indécision en tâtonnement, de « peut-être » en « Je n’aurais pas dû », une introspection travaillée de « je ne sais pas », de « je me dis ».

L’amour filial est l’axe du livre. La mère a 85 ans et sa santé se détraque : elle subit une opération du cœur, se casse l’épaule gauche, fait une embolie pulmonaire au Mexique où elle est venue assister au mariage de sa petite-fille. Veuve, d’origine polonaise, installée à Bruxelles, elle est de plus en plus dépendante de ses deux filles qui vivent loin et se relaient auprès d’elle. Devenue « un vrai paquet d’os », elle s’accroche pourtant avec sa vitalité de survivante, son rire sauvé d’Auschwitz. « Il lui reste quelques cheveux sur la tête, elle qui a été si coquette. Elle qui a été si belle. Tout le monde le disait. Et moi j’étais fière d’elle, de ma mère, cette femme si belle. Et je l’aimais. »

Près ou loin d’elle, sa fille aînée, « d’un autre genre » comme a dit un jour le père, part, revient, repart. Toujours en mouvement - New York, Paris, Bruxelles, le Mexique -, elle fuit, c’est vital mais on le lui reproche. Et quand elle ne peut pas déserter physiquement, elle se replie dans le sommeil, dans le silence, soumise à « une maladie de l’humeur » sous contrôle qui transforme néanmoins ses sentiments en montagnes russes. Sa relation avec la jeune C., qu’elle a rencontrée via Facebook et avec qui elle s’installe dans un appartement à Harlem, se consume dans la jalousie, devient insupportable enfermement (on pense à l’un de ses films, La captive, librement inspiré de Proust). Dans Ma mère rit, les refuges peuvent devenir à tout moment des prisons. Mais au retrait succède aussi l’élan : « Quand la vie est agréable on ne pense pas que chaque jour c’est mourir un peu, pas du tout. On pense juste que la vie est agréable et que c’est une belle chose la vie et on en profite et alors on ne dort pas tant. On en profite et on vit. On vit de tout et pour un rien on rit. » C’est le tourbillon de la vie.

Véronique Rossignol

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