avant-portrait

Au dos d’une carte postale envoyée du Japon, Chris Marker avait écrit à Maroussia Vossen : "Encore une copine", en commentaire d’un dessin de chouette intimidée, reproduit sur la couverture de Chris Marker (le livre impossible). Message complice d’un père, cinéaste culte, à sa fille d’adoption, danseuse. Dans le récit précieux qu’elle consacre à leur singulière relation, la chouette raconte comment le réalisateur de La jetée et du Tombeau d’Alexandre, brillant bricoleur multimédia, homme sans attaches, est devenu son "père d’âme", ce jour de 1955 où il a déclaré à une amie qui venait d’accoucher d’un bébé dont le père était parti : "Je prends la petite comme ma fille."

Enfant, Maroussia Vossen bégayait. Elle parlait peu, observait beaucoup. Quand elle a découvert la danse à 5 ans, elle a su qu’elle avait trouvé son langage. Après une formation classique, elle s’est orientée à l’adolescence vers la danse contemporaine qu’elle a ensuite métissée de Brésil et surtout de Japon. Elle danse, chorégraphie, enseigne, s’attachant à lier tous les arts. Mais elle évoque peu sa danse dans ce livre. Toute la place est faite à son "Chris" et aux "deux ou trois choses qu’[elle] sai[t] de lui". Elle qui n’a hérité de rien sinon de l’obsession de la ponctualité et de l’amour des chats laisse essai biographique et critique de l’œuvre aux exégètes pour ne s’attacher qu’au portrait impressionniste d’un drôle de père. Elle parcourt ainsi par touches légères cinquante ans de souvenirs, de sa naissance à la mort de Christian Bouche-Villeneuve alias Chris Marker le 29 juillet 2012, le jour de ses 91 ans. Elle décrit avec pudeur leur lien "hors de toutes règles conventionnelles", l’influence qu’a eue sur sa vie cet homme complexe, dur et provocateur, qui aimantait hommes et femmes, cloisonnait ses relations et se protégeait sous différents hétéronymes. Cet homme proche et lointain, qui l’appelait affectueusement "Zonzon" ou "ma choüette", venait voir tous ses spectacles et a même composé pour elle sous pseudonyme la musique d’un solo, mais évacuait les questions intimes auxquelles il ne voulait jamais répondre d’un "ça me regarde" sans appel.

Ni un chat, ni un avatar

Il reste de la petite fille sans parole des traces dans les phrases économes que Maroussia Vossen a assemblées dans ce récit court composé de notes patiemment accumulées puis élaguées, geste littéraire qui ressemble à celui épuré de cette "danseuse piétonne". Subjectif sans être idolâtre ni fétichiste, ce "livre impossible" prend aussi par moments des accents de lettre posthume. Car il a fallu, écrit-elle, "oser dévoiler un peu ce qu’au fond il aurait aimé qu’on sache". Soucieuse néanmoins de respecter leur commune discrétion et le refus radical de l’artiste de se laisser photographier, elle a choisi pour le livre un autoportrait connu où les verres de lunettes de science-fiction reflètent la tête de son chat Guillaume. Mais elle dit, avec l’humble assurance d’une femme qui ne doute pas d’avoir été reconnue et aimée : "Ce n’était ni un chat, ni un avatar. C’était un homme." Un homme impossible. Un père possible. Véronique Rossignol

Maroussia Vossen, Chris Marker (le livre impossible), Le Tripode. Prix : 16 €, 118 p. Sortie : 6 mai. ISBN : 978-2-37055-092-7

Les dernières
actualités