Reportage

La Cité internationale de la langue française ouvre au public

Château de Villers-Cotterêts, cour des offices, après restauration. - Photo © Pierre-Olivier Deschamps / Agence Vu’ – CMN

La Cité internationale de la langue française ouvre au public

Grand projet culturel de la présidence de la République, la Cité internationale de la langue française sera inaugurée le 19 octobre 2023 par Emmanuel Macron, au sein du château restauré de Villers-Cotterêts, dans l'Aisne (Hauts-de-France). À quelques jours de l'échéance, Livres Hebdo a pu découvrir ce lieu qui accueillera une exposition sur "L'aventure du français", des résidences d'artistes et de chercheurs, des espaces pour les associations, une salle de spectacles, un café, ou encore une librairie.

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Par Souen Léger à Villers-Cotterêts, ,
Créé le 12.10.2023 à 11h27 ,
Mis à jour le 17.10.2023 à 10h28

Note de la rédaction, 17 octobre : l'inauguration de la Cité internationale de la langue française par le président de la République, initialement prévue le jeudi 19 octobre, est reportée à une date ultérieure, de même que son ouverture au public. Emmanuel Macron assistera en effet aux obsèques de Dominique Bernard, professeur de lettres assassiné le 13 octobre à Arras. 

 

Ceci n'est pas un musée. Installée dans le château restauré de Villers-Cotterêts, dans l'Aisne, la Cité internationale de la langue française "est un lieu de vie, de passage, et d'expériences", plaide Paul Rondin, nommé en janvier 2023 à la tête de l'établissement. Situé à dix minutes à pied de la gare, le monument, à l'abandon depuis 2014, s'apprête à ouvrir au public. On pourra le visiter, mais aussi s'y promener, ou tout simplement le traverser pour rejoindre la ville ou la forêt. 

200 000 visiteurs espérés

"C'est un grand vaisseau fantôme dont le Centre des monuments nationaux prend la charge à partir de 2018", introduit Xavier Bailly, directeur délégué de la Cité, lors d'une visite du site fin septembre, alors que le chantier bat encore son plein. Emmanuel Macron, qui a porté le projet en tant que candidat, inaugurera la Cité le 19 octobre, marquant la fin de près de quatre ans de travaux ayant mobilisé quelque 600 compagnons, et un investissement de 210 millions d'euros. À l'endroit même où François 1er signa, en 1539, l’ordonnance qui imposa le français dans les actes administratifs et juridiques.

Inédit en France, ce projet n'a que peu d'équivalents dans le monde, seuls le Brésil et l'Italie ayant des lieux culturels dédiés à l'histoire de leurs langues. Situé à São Paulo, le Musée de la langue portugaise est d'ailleurs le plus visité du Brésil, notamment grâce aux publics scolaires, avec 3,9 millions d'entrées entre son ouverture en 2006 et 2015, soit environ 390 000 visiteurs annuels. La Cité, elle, en espère 200 000. Une cible ambitieuse qui nécessite de séduire tout à la fois Cotteréziens, touristes français et internationaux.

Une programmation éclectique 

Cœur battant de la Cité, la cour du Jeu de Paume se révèle sous un tout nouveau jour, surmontée d'une verrière "lexicale", soit un ciel de mots suspendus qui se reflètent sur les façades. Kif-kif, charabia, carabistouille, divulgâcher … Quelque 110 expressions ont été choisies, avec les habitants, afin d'illustrer la diversité du français. Une démarche d'ancrage territorial qui n'est pas sans rappeler celle menée au Louvre-Lens, sous l'impulsion de son ancienne directrice Marie Lavandier, devenue en mars dernier présidente du CMN.

Le ciel lexical au-dessus de la cour du Jeu de paume.
Le ciel lexical au-dessus de la cour du Jeu de paume.- Photo © BENJAMIN GAVAUDO – CMN

Couverte, la cour peut accueillir jusqu'à 500 personnes pour des événements, tandis que l'ancien bâtiment du Jeu de Paume a été converti en une salle de spectacle de 250 places. "Il y aura de l'humour, de la chanson, des lectures, des colloques, de la danse, du théâtre…", détaille Paul Rondin, qui fut directeur délégué du festival d'Avignon jusqu'en 2022. C'est aussi à partir de cette place publique que le visiteur accède aux espaces partagés par les associations locales, au café qui s'ouvre sur la forêt, ou encore à la librairie. Enfin, les futurs résidents – enseignants, chercheurs, auteurs et artistes – devront la traverser pour monter dans leurs studios de résidence (12 au total). 

La cour est également la porte d'entrée du public vers les expositions temporaires au rez-de-chaussée (400 m2) et le parcours permanent sur "L'aventure du français", déployé au premier étage du logis royal (1200 m2). "On l'a voulu ludique et interactif", explique Xavier North, commissaire général du parcours permanent. "Il n'est pas figé pour autant, on va pouvoir le faire évoluer", indique celui qui a travaillé avec les commissaires Barbara Cassin, Zeev Gourarier et Hassane Kassi Kouyaté.

"Bibliothèque magique" et colonisation

Comme dans un hall d'aéroport, l'exposition s'ouvre sur un grand tableau des départs : une cinquantaine de destinations francophones est projetée, invitant à embarquer pour un voyage à travers la "langue-monde" qu’est le français. Derrière ce panneau, le visiteur découvre une "bibliothèque magique" dont les faces extérieures abritent plusieurs milliers d’ouvrages écrits en français, de tous les continents. À l’intérieur, il est invité à répondre, de vive voix, à une série de questions pour repartir avec une recommandation de lecture personnelle grâce à une intelligence artificielle. Cette expérience fait partie de la soixantaine de dispositifs innovants de médiation que compte le parcours. 

Bibliothèque magique - CIDLF
La "bibliothèque magique" pendant la dernière phase de travaux.- Photo SOUEN LÉGER

C'est encore dans ce premier arrêt qu'est abordé le français comme langue coloniale, montrée à la fois comme "un instrument d'aliénation" mais aussi "vecteur d'idées et d'émancipation".

Le second chapitre de l'exposition, qui présente l'évolution continue du français, est particulièrement interactif. Équipée de tablettes tactiles géantes, une "salle de jeux" propose par exemple de tester son orthographe, de s’intéresser aux accents, aux usages du français dans le monde, ou encore au genre, sans pour autant parler d'"écriture inclusive". "Sur ce sujet comme sur d'autres, nous nous refusons à formuler une thèse, c'est au visiteur de se faire une opinion", explique Xavier North lors de la visite. 

"Maison commune" de la francophonie

Enfin, dans un troisième et dernier volet, la dimension politique de la langue française est mise en évidence. C'est d'ailleurs ici, en toute fin de parcours, que le visiteur découvre un exemplaire imprimé de l'ordonnance de Villers-Cotterêts qui a quitté les Archives nationales le 9 octobre. "Il y a sur le territoire de la République française 72 langues, dont une douzaine dans l'Hexagone. C'est précisément parce que ce pays est aussi divers qu'il est aussi unitaire : le français a été instrumentalisé pour faire société", retrace Xavier North. Une préoccupation partagée par le Québec, où le français est concurrencé par l'anglais, qui a d'ailleurs participé au financement de la Cité.

Conçue comme une sorte de "maison commune" pour les francophones du monde entier (plus de 300 millions de personnes), selon les termes de l'Elysée, le lieu accueillera le 19e Sommet de la francophonie en 2024, recevant notamment les dirigeants de 88 pays.

Outre cet événement exceptionnel, avec un budget de fonctionnement évalué à 8 millions d'euros par an, l'institution devra tourner à plein régime. "Les ressources proviendront des droits d'entrée, de toutes les activités qui sont payantes et de la valorisation des services communs : le café, la librairie et ultérieurement de l'hôtel ou des autres utilisations des locaux encore vacants", précise encore l'Elysée. Après l'ouverture, l'entrée au château et la programmation – qui comprend de l'humour, un spectacle de Daniel Picouly, ou encore une conférence avec Cynthia Fleury et Gérald Garutti – seront cependant gratuites pendant les 10 premiers jours. Et les réservations pour les visites affichent déjà complet...

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