Photo RICHARD OVERSTREET

Je travaille tout le temps, et toute seule dans mon coin, raconte Nathalie Bauer. Le traducteur, c'est un peu la dernière roue du carrosse. Mais j'aime cette humilité d'artisan. En revanche, je ne me reconnais pas dans le snobisme actuel qui intellectualise la traduction. On ne me verra jamais dans un colloque à Arles..." On l'aura compris, cette grande professionnelle, qui fait autorité dans son domaine, n'est ni une traductrice ni une femme ordinaire.

Depuis 2000, avec Zena, son premier roman paru chez Lattès, elle est aussi passée de l'autre côté du miroir. "J'ai toujours écrit, reprend Nathalie Bauer, et j'ai même essayé d'être publiée, vers vingt-trois ans, sans succès. C'est André Balland, pourqui j'avais traduit des auteurs italiens, qui m'a donné ma chance." Et depuis, entre deux travaux "alimentaires", dans le sens plein du terme ("Je suis l'une des rares traductrices à n'exercer aucun autre métier à côté, puisque après ma thèse j'ai raté l'agrégation et renoncé à une carrière universitaire », précise-t-elle), elle a poursuivi sa route, de façon discrète et personnelle.

En témoigne ce livre qu'elle publie à la rentrée, son troisième, Des garçons d'avenir (chez Philippe Rey). Un roman centré sur quatre garçons emportés dans l'horreur de la guerre de 14, de jeunes bourgeois qui, malgré tout, tentent de reconstituer leur vie d'avant. "Cette guerre, explique l'auteur, a marqué la fin du monde ancien, et le début du monde moderne, avec toute sa violence. J'ai voulu en donner une vision inhabituelle." Mais parfaitement réaliste, puisque l'un des garçons, le narrateur, n'est autre que le grand-père maternel de Nathalie Bauer, Raymond Bonnefous.

Né en 1893, chirurgien de formation, il est devenu, par la suite, maire de Rodez et sénateur CNI de l'Aveyron. Il est mort en 1979. Sa petite-fille avait seize ans, et cet homme la fascinait. Mais il ne lui a jamais parlé de "sa" guerre. En revanche, il a laissé deux carnets et deux agendas, ainsi que des photos, retrouvés par miracle dans la maison familiale. "Au début, je voulais en faire un document historique, dit Nathalie Bauer, mais aucun éditeur n'en a voulu. Alors j'ai imaginé ce roman, dont toute la trame est authentique, lespersonnages aussi,mais l'intrigue inventée. Le plus difficile a été de me mettre dans la peau de ce jeune homme de 1914 qui était mon grand-père, et de le faire parler de façon crédible. Heureusement, ses manuscrits et ses lettres m'y ont aidée." D'ailleurs, en bonne historienne de formation et "passionnée par les vieux papiers", elle a glissé, au fil des pages de son livre, certains documents, touchants. Comme cette lettre adressée par Raymond Bonnefous à sa mère, le 12 mars 1916, et qui commence par ces mots terribles : "Ça barde ! Ça barde !"

Autodidacte

Nathalie Bauer est une stakhanoviste de la traduction, venue à l'italien par amour pour le pays - au point de vivre sept ans en Calabre -, mais aussi un peu par hasard. Et surtout, bien que cela paraisse incroyable, en autodidacte. "J'ai appris l'italien toute seule, avec une méthode "en 90 leçons" !" Elle a d'abord été lectrice pour plusieurs éditeurs et s'est lancée "avec un premier livre sur les ventes d'armes à Saddam Hussein". Puis c'est Christiane Besse qui lui a confié pour Stock sa première traduction littéraire : Les princes de Francalanza, de Federico de Roberto, un grand roman (récemment réédité) qui a servi de modèle au fameux Guépard.

"Mais il ne faut pas croire que, dans ce métier, on ne traduit que des chefs-d'oeuvre ! Et je m'en réjouis : un bon traducteur doit pouvoir tout traduire." Ce que fait Nathalie Bauer depuis vingt ans, à raison de sept ou huit titres par an. Grâce à elle, on peut lire en français tout Mario Soldati ou Giovanni Arpino, Alessandro Baricco ou encore Roberto Saviano. L'an dernier, elle fut aussi la maîtresse d'oeuvre de la correspondance Leonor Fini-André Pieyre de Mandiargues, parue au Promeneur. Un projet dantesque, mais dont elle peut être fière.

Dans son "coin", donc, Nathalie Bauer continue à traduire "ses" Italiens, même si elle constate que "la demande des éditeurs, en France, n'est plus si forte qu'il y a quelques années ». Elle se fait aussi, parfois, passeuse de manuscrits. Mais, surtout, elle songe déjà à son prochain roman en chantier, une saga familiale : "J'ai une famille de fous ! » dit-elle. Sans blague ?

Des garçons d'avenir, Nathalie Bauer, éditions Philippe Rey, 450 p., 20 euros, ISBN : 978-2-84876-188-6, mise en vente le 18 août.

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