21 août > Roman France

C’est une fuite à travers champs, parmi la broussaille, dans la forêt, une course effrénée, au rythme paranoïaque. Une voix pantelante, paniquée, raconte. Elle a abandonné un corps au bord de la route. La narratrice de Mécanismes de survie en milieu hostile se cache, elle est aux abois : "La nuit est noire. La présence des hordes palpable. Au loin, je les entends. Il y a des hurlements. L’herbe est rase. Le vent sec et froid. Elles se rapprochent. Cette fois, je les vois. Je cours plus vite." Le dernier roman d’Olivia Rosenthal nous aspire dans un récit de traque, on est happé mais on ne sait rien. Rien si ce n’est la peur, excellente "méthode pour s’ignorer soi-même et donc se conserver". Car il s’agit bien ici d’une question de vie ou de mort. De sur-vie - comment vivre au-delà de la mort. Mort de l’autre et mort à soi-même, à ce passé qui vous retient. Dans son tout premier livre, Dans le temps (Verticales, 1999), hantait déjà l’événement tragique que fut le suicide de sa sœur aînée, mais la douleur s’y drapait dans les voiles d’une écriture elliptique, aux accents élégiaques. Cette neuvième fiction aborde à nouveau l’obsédante perte.

On a affaire à un dispositif narratif à la fois complexe - de prime abord déroutant tant il déjoue les procédés classiques - et à une poésie extrêmement directe. Immédiateté de la sensation, abîme du manque, jamais la romancière n’aura énoncé sa peine aussi frontalement : "je parle d’elle à la troisième personne, je ne sais pas comment la nommer, je n’arrive pas à l’exclure de ma phrase mais je n’arrive pas non plus à l’intégrer, je tourne autour d’elle, je m’approche, ça brûle, je m’éloigne, ça brûle tout autant".

La confession de la fugitive est entrecoupée de témoignages d’expériences de mort imminente - d’authentiques paroles de rescapés de l’au-delà - et de descriptions cliniques de mort réelle : "dans les heures qui suivent la mort, un voile se forme sur la cornée, donnant au cadavre un regard fixe et opaque". De la rigor mortis à la décomposition du corps, ces contrepoints évitent le pathos et ramènent à la froide réalité des faits.

Rien n’est linéaire, on joue à cache-cache. Il y a chez Olivia Rosenthal quelque chose de l’enfance où l’inquiétude se mêle au jeu. L’humour n’est pas loin : "Perdre quelqu’un qu’on aime est incompréhensible, inadmissible et révoltant. Il faudrait interdire de telles pratiques, le départ, la séparation, le suicide, la mort auraient dû faire l’objet de réglementations drastiques." A travers différentes "séquences" - l’intérieur familial, la maison ; le dehors, la grande-ville, loin de chez papa-maman ; les rues de Paris durant sa vie d’étudiante -, le lecteur suit la fugitive. La silhouette de sa défunte sœur aussi. Le chagrin ricoche sur ses relations avec autrui, l’empêche de se livrer à "l’ami" qui rompt. Et c’est à nouveau l’expérience de la séparation.

Mécanismes de survie en milieu hostile est une mise à nu progressive et une histoire de sortie du labyrinthe. Comment faire le deuil, se défaire de cette présence-absence ? L’auteure de Que font les rennes après Noël ? (prix du Livre Inter 2011) y répond. Faire avec. Faire sans. Aller de l’avant. L’abandonnée est aussi celle qui (s’)abandonne enfin et part. Sean J. Rose

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