12 mars > Roman France

Il est des succès qui collent à jamais à la peau d’un écrivain. Alors, que dire quand il s’agit d’un phénomène planétaire comme L’élégance du hérisson ? Paru chez Gallimard en 2006 dans une relative indifférence, le roman, deuxième de Muriel Barbery dont il a presque fait oublier le premier, Une gourmandise (Gallimard, 2000), a bénéficié d’un bouche-à-oreille exceptionnel, puis d’une vraie ferveur internationale : il s’est vendu à 2 millions d’exemplaires en France (Folio compris), à 1 million en Italie… Même les rétifs Etats-Unis ont succombé. Et l’adaptation au cinéma par Mona Achache, en 2009, a relancé la machine.

Mais que faire, après cela ? La discrète Muriel Barbery a décidé de prendre du champ, arrêtant son métier d’enseignante, voyageant, se fixant même deux ans au Japon. Elle a surtout pris son temps pour écrire son livre suivant, ainsi que le parti, courageux, de changer absolument de registre. Plus rien à voir avec la satire sociale douce-amère. Bienvenue dans l’heroic fantasy, "un univers que la romancière fréquente et connaît bien", selon son éditeur Jean-Marie Laclavetine. Situé dans un temps indéterminé, entre l’Italie et la France, La vie des elfes est construit selon le principe des destinées parallèles, qui finissent par se rencontrer. Il y a Maria, enfant trouvée qui vit en Bourgogne dans une ferme au milieu de ses vieilles tantes, ses "mémères". La petite, 10 ans au moment où commence le récit, se met à avoir de bizarres apparitions. Et puis, son entourage se rend compte qu’elle est comme un talisman, qui apporte le bonheur où elle passe. "La petite est bénie", dit le curé. Pendant ce temps-là, Clara, une gamine des Abruzzes, stupéfie tout le monde par son don inné pour la musique. Sans jamais avoir appris, elle est une virtuose du piano. Mais, quand elle joue, elle aussi a des visions. Une fois, par exemple, elle voit Maria. Elle a aussi des rêves prémonitoires. On emmène la prodige perfectionner son art à Rome, où le Maestro et d’autres, Petrus, Alessandro, Raffaele, l’entourent, prennent soin d’elle. On apprendra qu’il s’agit en fait d’elfes, génies des airs dans la mythologie scandinave, qui vont utiliser leurs charmes pour faire se rencontrer les deux petites, et unir leurs forces pour lutter côte à côte dans la terrible guerre qui déchire l’Univers entier. Vers la fin, Petrus dit à Clara : "Maria et toi êtes la totalité des deux mondes, celui de la nature et celui de l’art", c’est-à-dire le Bien face au Mal.

Au-delà de l’intrigue foisonnante, du merveilleux, qui évoquent bien sûr le Tolkien du Seigneur des anneaux, de la parabole philosophique, La vie des elfes se présente comme un roman poétique, porté par une écriture dense, habitée. Il reste à savoir combien des lecteurs et lectrices de L’élégance du hérisson se laisseront séduire. La romancière, elle, qui annonce au moins un diptyque, travaille déjà à la suite. Comme dit encore Petrus : "C’est toi qui tiens entre tes mains la possibilité d’un nouveau récit."

Jean-Claude Perrier

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