28 août > Roman France > Vincent Jolit

Le temps quand on en a, ne pas le tuer. Même s’il est long, trop long, trop lourd sur un lit d’hôpital. Mieux vaut s’y plonger comme dans les pages d’un chef-d’œuvre qu’on avait négligé plus jeune. Le narrateur de Presqu’île de Vincent Jolit a choisi Proust. Pourtant la solitude propice à la concentration, à laquelle le patient aspirait, ne viendra jamais. Elle est doublée par la compagnie d’un voisin de lit qui, si bien élevé soit-il, lui parlera, et avec qui il faudra bien échanger, politesse oblige. Et cette solitude, tant espérée par le lecteur proustien empêché, trouvera entrave plus handicapante encore que le babil du malade d’à côté : son propre corps. "La douleur prendra toute la place. La douleur et cette sensation que le corps est un bout de viande à découper - stupide et inutile bout de viande qui vous cloue au lit." On se met alors à guetter les moments de répit, attentif à ses moindres gestes muets, intimes, on surveille, on s’échappe parfois. Par la fenêtre, d’où l’on voit un bout de ciel. "Ce ciel, je le connais. Pour autant, ce n’est pas un ciel d’habitude hospitalière. Je le connaisparce que lui aussi est identique. Non pas identique à tous les autres ciels au crépuscule, je le vois bien, mais à un ciel que j’ai connu il y a longtemps."

Monet, Whistler, Turner, Bonnard… "Grands aplats de violets et mauves lézardés par les traînées blanches que laissent derrière eux des nuages en décomposition", si le ciel évoque la peinture, c’est plutôt vers l’horizon de l’enfance que ce coin de firmament attire. Chez la grand-mère du narrateur, où, petit garçon, il se faisait déposer tous les mercredis - l’aïeule turfiste qui lui apprit à parier et avec qui il jouait au jeu de l’oie. Violet du ciel qui "surplombe le tombolo et la presqu’île, des kilomètres de plages et la mer".

Dans ce court roman au lyrisme ténu, l’un des plus intimes (on y sent la forte contemporanéité du "je" avec l’auteur), Vincent Jolit livre une réflexion sur ce que peut l’art, malgré ou plutôt contre la souffrance et le deuil, inépuisable dialectique entre désir esthétique et corps douloureux. Une sublimation du temps qui passe par la jouissance du moment présent, la lumière du bonheur comme dans ces tableaux de Bonnard que Vincent Jolit aime tant. S. J. R.

19.05 2017

Livres cités

Auteurs cités

Les dernières
actualités