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Le monde du livre et le Vatican suivent des évolutions qui frappent par leur étrange parallélisme. Ces deux univers qui n'ont guère à voir (même si bien sûr la bible a une place particulière dans l'histoire du livre) poursuivent pourtant des trajectoires communes. Toutes deux aux prises avec un reflux de leurs croyants et pratiquants revisitent leurs dogmes et leurs rituels.

Du côté du Vatican, on avait pointé le caractère novateur du Pape François dès le début de son pontificat et il confirme par des prises de position son souhait de renouveler le discours de l'Eglise. On l'a encore constaté cet été quand il s'est déclaré en faveur des divorcés-remariés et du pardon aux femmes ayant avorté. Cette audace fait sans doute grincer les dents des plus orthodoxes mais contribuent sans doute à inscrire l'Eglise dans le monde tel qu'il est aujourd'hui.

Fleur Pellerin n'est pas Pape mais elle a en charge la politique de lecture publique. Et c'est sans complexe qu'elle a lancé l'opération « lire en short » visant à promouvoir la lecture. Le titre lui-même invitait à une forme de dépouillement de la lecture. Il n'est pas nécessaire de revêtir l'habit pour plonger dans la lecture. Et les actions labellisées avaient à cœur de faire sortir les livres des lieux qui ont si longtemps participé à leur sacralisation (voir le dossier paru dans le n°1049 de Livres Hebdo). Il est question de plage, de piscine, de parcs, de triporteurs, de guinguette... La lecture n'a pas peur d'investir l'espace public pour créer un événement. Nombreuses sont les bibliothèques à mettre en place des opérations afin de sortir le livre hors des murs, et le lieu même de la bibliothèque est travaillé de l’intérieur pour en retirer la dimension sacralisée (que l’on pense au succès de la notion de bibliothèque  « 3ème lieu »).

Quand les institutions ne prennent pas l’initiative ou tardent à le faire, les citoyens les suppléent. On le voit à travers le cas de la bibliothèque proposée aux migrants dans la jungle de Calais. Plus largement, on  a vu se développer des initiatives associatives (https://leslivresdesrues.wordpress.com/) pour implanter des offres de livres gratuites dans la rue, près des supermarchés ou des domiciles privés. Le livre n’est plus protégé ou conservé dans un « temple » par un personnel qui lui soit dédié. Il est comme nu, offert aux citoyens qui s’en emparent ou l’ignorent.

La lecture n’est plus conditionnée à ces filtres, c’est une chance (ou un risque) dont nos contemporains peuvent se saisir librement selon leur humeur. Et la hiérarchie littéraire n’en sort pas indemne puisque les citoyens délaissent les œuvres et les auteurs du panthéon de la littérature contemporaine. Et un récent article de Télérama s’inquiète : « Pascal Quignard peine [ainsi] à dépasser les 10 000 exemplaires, le dernier livre de Jean Echenoz s'est vendu à 16 000, Jean Rouaud séduit 2 000 à 3 000 lecteurs, à l'instar d'Antoine Volodine. Providence, le dernier livre d'Olivier Cadiot, s'est vendu à 1 400 exemplaires et le dernier Linda Lê, à 1 600 (chiffres GfK). (« Lecture : une page se tourne », Télérama, n°3423).

Les croyants-pratiquants se font plus rares. C’est que la reformulation de la lecture ne se fait pas sans remise en question des pratiques. La lecture sécularisée est moins formelle ou ascétique et davantage tournée vers le divertissement, le délassement, la simplicité. Les auteurs sont choisis plus souvent en fonction de leur capacité à satisfaire ses attentes, reconnue par d’autres lecteurs souvent ordinaires (c'est-à-dire dégagées des appartenances et logiques institutionnelles).

La foi en la lecture comme celle en Dieu est mise à l’épreuve. Les institutions qui sont fondées sur elles ont à se reformuler de façon à maintenir le lien avec nos contemporains. Elles doivent actualiser leur message et leurs pratiques. C’est partiellement en cours…
 

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