4 novembre > Récit Belgique > Laurent Demoulin

Laurent Demoulin a une double vie. Dans son agenda, une alternance de pages pleines organisant sa vie de maître de conférences en langues et littératures romanes à l’université de Liège et "des pages blanches sur lesquelles n’est inscrite que la lettre "R" signifiant "Robinson"".

Ici, dans ce texte en fragments bouleversant, ce n’est pas l’universitaire qui écrit mais le père de Robinson. Robinson est autiste. Il a 10 ans, ne parle pas, dispose d’une grande nuance de cris et de rires pour s’exprimer mais d’aucun mot intelligible. Il "ne respecte aucun "Non !"", aime les boîtes à musique, les attractions foraines et les aspirateurs. Un éternel bébé, un "nourrisson tardif", arrêté dans un présent qui n’avance pas. Et que veut-il signifier quand, laissé seul quelques minutes, il macule sa chambre de ses propres excréments et s’en barbouille le visage ? Le père n’a pas recours à la suggestion, à la métaphore pour décrire ce langage scatologique, ce lien filial resté au stade anal. Il se tient physiquement au plus près de cet enfant autour duquel gravite sa famille recomposée, sans chercher ni à expliquer ni à apitoyer. Direct et pourtant pudique, de cette pudeur qui passe par une dérision qui serre le cœur, il dit la trivialité et l’héroïsme d’un ordinaire dont il ne manque jamais de relever la cocasserie, la fantaisie poétique et joyeuse même, parfois. Ce quotidien avec un enfant qui ne supporte pas l’attente, la frustration. L’aventure pleine de risques que représente une sortie à la piscine, au parc ou au supermarché. L’impossibilité de lâcher Robinson du regard et de la main. L’acrobatie qui consiste à préparer une conférence sur Roland Barthes en assurant une vigilance de tous les instants. Ce père qui nourrit, lave, lange, habille, torche, prend dans les bras un enfant qui a largement passé l’âge de ces soins-là s’interroge aussi sur cette étrange fusion des rôles. "Suis-je le père de Robinson ou une seconde mère ?" Ailleurs, il lâche simplement : "Je me sens gagné par un double mouvement d’émotions incontrôlables, de l’amour, oui, je ne vois pas d’autre mot, et de la tristesse." Et quand, à bout de patience, il jette la première version de son manuscrit par la fenêtre, il réalise le statut paradoxal de ce texte "longtemps impossible" : l’unir à son fils qui, pourtant, ne le lira jamais. V. R.

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