Epatant, le livre de Pierre Assouline. Cette mise en abîme de l’écriture où le blogueur publie sur du papier les écrits autrefois virtuels de ses lecteurs assidus. Le manuscrit virtuel qui a réussi parce qu’il a gagné ses lecteurs avant même d’être publié retrouve de la chair, si je puis dire, dans un livre qu’on feuillette. C’est une œuvre collective qui revient sous une plume individuelle, une opération qui change les données de l’échange et transforme les mots envoyés en une sorte de feuilleton ordonné. Une œuvre collective d’autant plus originale que nombre de ceux qui ont écrit l’ont fait sous pseudonyme, dans quelque jeu de rôle analogue aux jeux vidéos qui vous offrent plusieurs vies.   Asssouline en convient : on n’échappe guère à la censure, et dans le florilège des insultes qui vous arrivent aussi, on n’en choisit que quelques unes.   Ça ressemble un peu à ce jeu des cadavres exquis où s’écrit une forme littéraire nouvelle et inédite par le simple fait de déplier les morceaux qui se sont juxtaposés au fil des sujets abordés (149 168 contributions, nous avoue Assouline, et on lui suppose quelque gourmandise à afficher un record pareil).   Ce qui est intéressant dans cette conversation numérique, c’est qu’elle ne fonctionne pas tout à fait à la façon du salon. Non seulement parce que l’aspect physique et l’appartenance sociale en sont apparemment absents, mais encore parce qu’elle se construit à la manière de réponses successives qui s’émancipent rapidement de la contribution initiale. La conversation ne se noue pas dans le cercle des présents, elle se tisse comme verticalement en une succession de réponses dont l’objet de départ s’évapore bien souvent.   La république des blogs est sans doute née et ce billet y participe ; on ne saurait faire l’économie des questions qu’elle appelle : le modèle publicitaire, lorsqu’il est en jeu, transforme le blog en un échange marchand biface, aux termes duquel le service offert est celui de l’échange gratuit, mais la valeur de l’espace publicitaire est étroitement corrélée au nombre des participants. Le blog se pose en marge du support qui l’accueille mais entend en grignoter un peu de l’espace central. La réussite du blog se compte à l’aune du nombre des clics, mais aussi à l’entrée dans les favoris des lecteurs. Assouline aligne le nom des écrivains qui lui sont ainsi fidèles, et rappelle que la notoriété du blog se mesure aussi au nombre des livres qui lui arrivent. Une économie de la notoriété, en quelque sorte, mais qui, en se déplaçant dans le monde virtuel, ouvre tout à la fois de nouvelles opportunités et des compétitions d’un genre jusque là inconnu.  
15.10 2013

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