6 mars > Essai France

Certains observateurs ont reproché à la nouvelle Constitution tunisienne de ne pas gommer toute référence au Coran. Mais notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 puise une partie de son inspiration dans la Bible… Dans une enquête remarquable, Valentine Zuber explique cela avec beaucoup de tact. Elle revient sur l’histoire tumultueuse de sa rédaction, puis sur la postérité de ce catéchisme républicain qui, à peine proclamé, fut critiqué par les contre- révolutionnaires.

La pensée conservatrice de Burke, Carlyle, Joseph de Maistre ou Taine s’est nourrie de cette œuvre-éclair pour en faire un repoussoir. A l’opposé, Louis Blanc, Marx ou Kropotkine ont critiqué un texte jugé trop bourgeois, au service des intérêts égoïstes d’une minorité.

Il reste que les principes d’égalité et de liberté ont marqué les esprits au point d’imposer une nouvelle morale politique. Cette déclaration reste comme le canon de l’évangile républicain. Mais elle a connu quelques vicissitudes avant de s’imposer profondément. Elle n’est entrée dans le droit qu’en 1971, lorsque le Conseil constitutionnel l’a reconnue.

Valentine Zuber a réussi à faire de cette déclaration un grand roman des idées, une saga qui court sur deux siècles, avec ses premiers mousquetaires, ses opposants et ses infidèles. Historienne, spécialiste de la tolérance religieuse en Europe du XVIe au XXIe siècle, maître de conférences à l’Ecole pratique des hautes études à Paris, elle pose aussi la bonne question : ce credo révolutionnaire implique-t-il une religion civile républicaine ?

Condorcet était contre. Pour lui, la raison ne pouvait faire l’objet d’un culte. Il ne fut pas suivi… La déclaration fait désormais l’objet d’une vénération. On le comprend lorsque Valentine Zuber nous raconte ce moment extraordinaire où des représentants du peuple se mettent non seulement à envisager mais à codifier un monde plus juste. On saisit alors mieux le sens de l’expression "le pays des droits de l’homme".

Depuis plus de deux siècles, cet héritage inédit ne cesse de faire gloser : documents pédagogiques, circulaires du ministère de l’Education nationale, prises de positions des différents ministres sur le sujet, dont celles de Vincent Peillon sur la nécessité d’un enseignement de la morale laïque à l’école.

L’internationalisation des droits de l’homme a un peu marqué la fin d’une spécificité française. Il n’empêche, les faits sont là et ils méritent d’être rappelés. En lisant Valentine Zuber, on comprend mieux les soubresauts qui agitent périodiquement la société française au travers des notions d’identité, d’égalité et de fraternité. Ces débats, nous les avons déjà eus et nous ne cessons de les avoir. Peut-être faut-il y voir comme la manifestation de la bonne santé démocratique. Laurent Lemire

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