Bibliophilie

Le charme discret du Salon international du livre rare

La bien nommée aile Gustave Eiffel du Salon. Au premier étage, un concert au piano s’est tenu le samedi dans le cadre de l’exposition consacrée à Colette et a fait salle comble. - Photo Alexandre Mouawad

Le charme discret du Salon international du livre rare

Rendez-vous incontournable de la bibliophilie mondiale, l’édition 2023 du Salon international du livre rare et des arts graphiques s’est déroulée du 22 au 24 septembre dans les allées du Grand Palais éphémère, à Paris. L’an prochain, l’événement quittera le Champ-de-Mars, réservé aux Jeux olympiques, pour le Carreau du Temple.

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Par Alexandre Mouawad
Créé le 25.09.2023 à 15h17 ,
Mis à jour le 26.09.2023 à 14h48

Le manuscrit du poème d’André Breton à sa fille Aube ; celui du poème « Liberté » de Paul Eluard ; une édition incunable de la Bible illustrée de 109 gravures sur bois en 1483 ; une exposition sur Colette qui s’est tenue quatre mois durant à la fondation Michalski en Suisse reconstituée intégralement ici pour trois jours seulement ; une de ces fameuses boîtes vert wagon de bouquiniste à l’intérieur de laquelle on peut signer un Moleskine en guise de pétition de soutien ; le seul exemplaire disponible à l’heure où nous écrivons de l’ouvrage somme L’Art du livre à paraître le 25 octobre chez Citadelles & Mazenod (609 pages, 24 x 31 cm, 210 €) ; l’intégrale de L’Internationale situationniste en coffret ; le premier tirage des 31 bois originaux sur papier Japon des Badauderies parisienne par Félix Valloton ; un stand où s’abonner au Bulletin du bibliophile ; une autre exposition sur le peintre Albert Palma qu’accompagne des lettres ou dédicaces de ses contemporains (Mœbius, Pierre Michon ou Jean-Luc Nancy) et dont le philosophe Philippe Nassif disait qu'il « va chercher ses influences aux sources de l’art moderne – de Paul Klee à l’Arte Povera –, dans la mémoire calligraphique et dans l’éthique du geste juste, cultivé par l’Asie et portée par le principe du “wu wei” –, ce “non-agir” sans lequel il n’est paradoxalement rien qui ne s’accomplisse » ; des reliures, des plus abracadabrantes aux plus élégantes, des stupéfiantes de modernité comme des bijoux de classicisme ; une presse de l’atelier du Livre d’art et de l’Estampe de l’Imprimerie nationale ; une édition originale du Petit Prince dont le prix n’est pudiquement pas indiqué, que jouxte un tirage de tête des Sculptures de Picasso photographiées par Brassaï et dédicacé par Picasso à Elsa Triolet et Louis Aragon vendu 40 000 euros ; l’affiche de la première « Petite soirée Dada » de 1922 (30 000 euros)… 

L’inventaire des trésors dont recèle le Salon du livre rare et des arts graphique qui se tenait du 22 au 24 septembre au Grand Palais éphémère fait tourner la tête et pourrait continuer à l’infini. Cette année, 140 libraires et galeristes de France et d’ailleurs (États-Unis, Japon, Suisse, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Autriche, Allemagne, Danemark, Italie, République tchèque) se sont rendus au pied de la tour Eiffel pour ce rendez-vous majeur de la bibliophilie mondiale. Si les organisateurs déplorent quelque peu son manque de fréquentation et de visibilité pour le grand public, il est aussi permis de penser que cela est bien ainsi, qu’ici la valeur financière et symbolique de ce qui est exposé exige une forme de recueillement, que tout ne peut se discuter et se vendre qu'à bas bruit. 

Salon livre rare 23
Le manuscrit de « Liberté » de Paul Éluard, sur le stand de la librairie Walden. Une des ventes les plus scrutées cette année- Photo ARIA THOMAS

Un secteur qui rassure 

Le président du salon, Jean-Marc Dechaud, qui est également celui du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (Slam), estime à 30 % le nombre d’acheteur pour 70 % celui des simples visiteurs, même s’il tient à préciser que ces derniers « peuvent aussi se laisser séduire au fil de leur balade ! » Et nous confie que, « dans le secteur du marché de l’art, celui du livre ancien se maintient ». Quand on évoque l’avenir de ce secteur, l’aura d’internet, un public de bibliophiles que d’aucuns jugent vieillissant, il temporise : « Internet est un canal complémentaire, qui a été très utile pour garder la tête hors de l’eau pendant la crise sanitaire. Il permet aussi de voir qu’il y a un renouvellement des bibliophiles, un public plus jeune, qu’on identifie plus facilement grâce aux réseaux. » 

Le marché de la bibliophilie n’en est pas moins soumis aux dures réalités de la vie économique. Un libraire nous dit craindre que le coût du salon, entre les prix du stand et les frais de la vie parisienne, ne dissuade de plus en plus les libraires provinciaux et internationaux de s’y rendre. Bien sûr, la (re)découverte de pièces d’exception peut toujours relancer l’intérêt du grand public et créer de nouvelles vocations de collectionneurs : une vendeuse se souvient avec délectation de cette année 2014 où tout le salon bruissait d’excitation suite à la découverte par Les Librairies associés d’une photo inédite de Rimbaud.

À plus brève échéance, le Salon international du livre rare et des arts graphiques devra aussi composer avec plus gros que lui. Si la première édition de ce qui s’appelait alors la Foire du livre ancien s’est tenue en 1985 à la Conciergerie à l’initiative de la libraire Jeanne Laffite, les Jeux olympiques, qui chahuteront tout Paris, bousculeront aussi le salon l’année prochaine. Contraint de quitter le Champ-de-Mars, appelé à se muer bientôt en arène à ciel ouvert, l’événement verra son édition 2024 se tenir au Carreau du Temple, dans le 3e arrondissement, du 13 au 16 juin. Gardez-le pour vous.

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Sur le stand du libraire londonien Benjamin Spademan. Une vitrine comme on en trouve des dizaines sous le dôme du Grand Palais éphémère- Photo ALEXANDRE MOUAWAD

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