7 juin > Essai France > Philippe Berthier

"Charlus s’impose sans conteste comme l’une des créations les plus saisissantes de Proust." Fort de ce constat, Philippe Berthier est parti en quête de ce baron perché et décadent. Le modèle fut sans doute Robert de Montesquiou pour l’aisance verbale, le poète dandy dont Cocteau disait "c’est le Minotaure qui a avalé le labyrinthe" et que l’on surnommait "le Platon du Vésinet".

Charlus, c’est d’abord un regard et une voix, souligne ce professeur émérite de littérature française (université Sorbonne nouvelle-Paris 3). Il s’en sert comme d’un appât pour pêcher les hommes sans savoir les garder. Pourtant cette voix demeure désaccordée, "elle hésite entre plusieurs sexes divergents". Grand spécialiste de Stendhal - il a édité avec Yves Ansel les Œuvres romanesques complètes dans la "Bibliothèque de la Pléiade" -, Philippe Berthier nous montre un Charlus qui, tel Sisyphe, ne cesse de revenir sur ses échecs. Son désir est à la mesure de sa quête d’une virilité impossible. D’où ce sadomasochisme qui explose parfois.

Certes Charlus n’est pas Proust, mais Proust y est pour beaucoup. "Comme le dit très bien Deleuze, le corps de Charlus est "une Égypte" et Marcel est son Champollion." Mais ce Sisyphe est aussi Protée, un être changeant. "Tiraillé à hue et à dia entre nature et censure, Charlus titube, d’embardée en embardée, au gré d’une météorologie intérieure toujours changeante."

Le baron vit dans la beauté comme dans un monastère. Il finit par confondre l’art et la vie, comme Oscar Wilde, ce qui n’est pas du goût de Proust. Dans cet essai subtil, Philippe Berthier fait le portrait d’un névropathe. Surtout, il évalue le rôle capital de Charlus dans la Recherche. "Nul doute que Proust n’ait voulu l’ériger en figure homosexuelle emblématique, mais il n’a pas fait de lui l’Homosexualité en soi", même si un autre personnage, le professeur Brichot, propose Charlus pour une chaire d’homosexualité au Collège de France.

Après un Saint-Loup remarqué (de Fallois, 2015), Philippe Berthier replonge dans le massif proustien avec un sens de l’orientation aiguisé. Il en tire, non sans humour, une analyse brillante qui ne s’adresse pas qu’aux lecteurs invétérés, mais à tous les amoureux de littérature qui souhaitent saisir quelque chose de l’étrange alchimie qui s’opère entre un écrivain, ses personnages et son époque. L. L.

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