22 AOÛT - PREMIER ROMAN Etats-Unis

Teju Cole- Photo DR

"Tant de gens... Qui eût dit que la mort eût défait tant de gens", s'exclame le poète dans La Terre vaine de T. S. Eliot, voyant la foule se déverser sous le Pont de Londres. C'est le même éclair de lucidité qui frappe le narrateur new-yorkais d'Open city, le roman de l'Américano-Nigérian Teju Cole. Le piéton observe le flux des individus s'engouffrer dans le métro de la Grosse Pomme, comme tant de vies anonymes dévorées par le Léviathan de la métropole : "Je trouvais perpétuellement bizarres ces quantités de gens se précipitant dans les lieux souterrains et j'avais l'impression que toute la race humaine se ruait, mue par un étrange instinct de mort, dans des catacombes mobiles." Ayant depuis peu rompu avec sa petite amie Nadège, Julius, jeune médecin d'origine africaine, arpente les rues de Manhattan, à travers blocs d'immeubles et stations de subway, dans "une progression sans but ». L'auteur, né en 1975 au Nigeria et vivant aux Etats-Unis depuis 1992, qui est également photographe et spécialiste d'art néerlandais, a l'oeil et cette acuité visuelle se traduit dans les pages de ce premier roman. Teju Cole dessine rien de moins qu'une topographie de "la ville ouverte" où erre son héros. Comme dans la photo d'Atget ou la peinture de Hopper, ce qui importe avant tout est l'atmosphère, ces digressions comme autant de cadres insolites qui expriment la grande solitude urbaine : tel voisin croisé au sortir de son appartement vient de perdre sa femme, tel taxi noir établit une espèce de fausse connivence.

Rencontres fortuites dans New York et réflexions intimes se mêlent : son ancien professeur de littérature anglaise médiévale, qui l'avait pris sous son aile à son arrivée en Amérique, lui annonce un cancer ; le Dr Gupta, un hôte d'origine indienne, se révèle anti-Noir après que toute sa famille a été expulsée d'Ouganda par le sanguinaire Idi Amin. Dans ce long travelling extérieur, Cole fait encore fondre des souvenirs d'Afrique de Julius - sa grand-mère "oma" qui a nourri son imaginaire d'enfant avec des légendes yoruba ; des images de la violence d'un attentat à Basra. Mais dans ce Manhattan transfer revisité, il se dégage une vraie réflexion sur l'humanité et l'empathie : Julius avait été séduit par la démarche claudicante de Nadège.

08.10 2014

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