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Le roman mémoriel se met à la page

Ariane Bois en lecture de son roman Ce pays qu’on appelle vivre (Plon) au Camp des Milles - Photo © ED

Le roman mémoriel se met à la page

A la faveur d’une conjoncture et d’un lectorat qui évolue, de plus en plus de titres et de collections voient le jour en mettant le romanesque au cœur de la grande Histoire.

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Par Éric Dupuy
Créé le 06.02.2023 à 11h45 ,
Mis à jour le 09.02.2023 à 10h44

En cette rentrée d’hiver, les romans mémoriels sont légions : Le bureau d’éclaircissement des destins, tiré à 30 000 exemplaires par Grasset, Ce pays qu’on appelle vivre, chez Plon ou encore les premiers titres de la collection « Histoire Pop’ » chez Eyrolles sont autant d’exemples de l’engouement du secteur pour ce genre qui n’est pas nouveau, mais promis à un avenir durable. Le roman mémoriel se substitue au roman historique en mettant l'accent sur les émotions des personnages, fictifs ou réels, ancré dans une période qui a bien existé.

« Il faut penser à notre lecteur qui a évolué »

« En France il y a un vrai lectorat pour le roman mémoriel, constate Alice d'Andigné, on le voit dans les rencontres en librairie notamment ». La directrice éditoriale de Robert Laffont, qui publie La Promesse de Marie de Lattre, a « tout de suite cru à son histoire très singulière ». Directrice artistique chez Perrin, cette dernière a romancé l’incroyable histoire de ses grands-parents après une découverte bouleversante et de nombreuses recherches documentaires.

« Des secrets qui se révèlent, d’autres qui restent à découvrir : il y a plein d’histoires dans les tiroirs des français qui peuvent concerner beaucoup de monde », évoque l’éditrice. A la condition de savoir les raconter. « Aujourd’hui il faut penser à notre lecteur qui a évolué. Il a besoin de scènes. Paradoxalement, la vérité s’éloigne sous une forme d’histoire donc on a besoin de scènes qui rendent le sujet plus accessible », estime Alice d’Andigné.  

Plongée dans les archives

C’est ce même parti pris par Ariane Bois. La journaliste de Psychologie Magazine écrit régulièrement depuis plus de 10 ans des romans tirés d’histoires vraies. Sa neuvième fiction publiée chez Plon, Ce pays qu’on appelle vivre, colle parfaitement à l’histoire tragique des pensionnaires du Camp des Milles, à Aix-en-Provence, pendant la Seconde guerre mondiale. Pendant deux ans, l’auteure s’est plongée dans les archives, a arpenté le site devenu lieu de mémoire depuis 2012 pour établir un portrait plus vrai que nature de certains prisonniers de ce camp où l’art sous toutes ses formes s’est réuni en pleine période funeste de l’histoire de France.

Le camp des Milles
Le Camp des Milles à Aix-en-Provence a réuni entre 1940 et 1943 des intellectuels et artistes au coeur du roman d'Ariane Blois- Photo © ED

« Aujourd’hui, il faut un certain recul factuel d’un historien mais un côté romanesque et charnel pour s’attacher à l’Histoire », se persuade Élisabeth Segard. C’est ce constat qu’il a amené à diriger une nouvelle collection aux éditions Eyrolles : « Histoire Pop’ » dont six ouvrages sont déjà prévus autour de personnalités historiques comme Vercingétorix, Cléopâtre ou Louis Pasteur. « L’idée est d’écrire sur les influenceurs de l’histoire, précise-t-elle, avec un angle un peu drôle car je crois qu’il y a un vrai engouement pour l’histoire. Notre cible sont les curieux qui veulent se cultiver sans s’ennuyeux et les premiers retours nous montrent qu’on a beaucoup d’enseignants qui s’y intéressent. Il faut aimer l’écriture décalée », ajoute la journaliste, auteure de Si fragiles et si forts (Eyrolles). « Nous n’avons pas la prétention de nous dire historiens mais les livres sont basés sur des travaux de recherches », affirmait en septembre à La Nouvelle République Michel Douard, auteur de Mon enfance tout feu tout flamme, histoire ébouriffante de Jeanne d’Arc dans cette collection.

Cessions de droits et adaptations graphiques

Est-ce que toute l’histoire peut être romancée ? « C’est plus facile d’écrire un roman mémoriel là où il y a beaucoup d’éléments », note Élisabeth Segard. Avec la disparition des témoins directs, les deux guerres mondiales, inscrites dans l’inconscient collectif et fortement documentées, sont les thèmes les plus abordés par le genre, qui est déjà très développé au Royaume-Uni et aux États-Unis. « Les anglo-saxons se sont lancés dans le roman mémoriel bien avant nous, ce sont les historiques avec Ken Follett dans les années 1970 et aujourd’hui ils vont beaucoup plus loin dans le genre déjanté », avec par exemple la saga Hadès & Perséphone de Scarlet St. Clair (Hugo Roman). Les perspectives de développement sont également intéressantes pour l’éditeur : le roman mémoriel peut s’exporter quand il concerne un pan de l’histoire universelle. Ainsi, Le Bureau d’éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant a été préempté avant parution par Pipper en Allemagne et Bonier au Royaume-Uni lors de la dernière foire de Francfort. « Il est actuellement sous offre en Italie, en Espagne et pour une adaptation en série », se réjouit l'agent de droits Susanna Lea. « Il y a aussi des possibilités d’adaptations graphiques et cinématographiques », abonde Alice d’Andigné. Le roman mémoriel, qui place au cœur de l’intrigue les émotions des personnages, « permet de faire vivre l’Histoire autrement. Mais pas n’importe comment », ponctue dans le JDD Gaëlle Nohant.

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